Occupations, préoccupations, distractions.

La vie quotidienne à Galan autrefois.


D'abord le travail, viennent ensuite, faites votre choix :
Les distractions                
  Le pêle-porc              
    La pêche et la chasse            
      Les conflits          
        Les déplacements        
          Les risques      
            La santé    
              La pauvreté  
                Histoire sommaire

La vie quotidienne est dictée par la durée du jour. L'été, la journée est juste suffisante pour mener à bien tous les travaux des champs - la moisson est un rude labeur - et pour "soigner" les bêtes deux fois par jour. La nuit de repos est courte.
Elle garde bien les vaches !
L'hiver, les jours raccourcissent, les hommes débitent quelques arbres, en plantent, réparent les outils, égrènent le maïs, confectionnent des paniers d'osier, les tistails. La veillée est laborieuse : les femmes tissent, filent au fuseau, tricotent et se livrent aux travaux domestiques habituels.
Toute l'année, les enfants sont mis à contribution pour aider pour la volaille, même la plumer s'il le faut, et garder les vaches aussitôt rentrés de l'école, prenant le relais de la mère. Là aussi, cela prend du temps; il faut s'y tenir plusieurs heures par jour aidé par un chien comprenant le patois.
La ronce artificielle, peu souple d'emploi ne fit son apparition en France qu'en 1883, la clôture électrique en 1960 et seulement pour les cochons au début; à l'époque on faisait paître les cochons plus vigoureux que ceux des races actuelles qui risqueraient des malaises cardiaques.
Vers l'âge de 16 ans l'enfant se verra confier des tâches d'adulte : battre le blé, sortir le fumier de l'étable, retourner un carré du potager.
Le dépiquage au fléau Un progrès : la batteuse
Le dimanche est plus calme, toujours les bêtes à soigner, et on travaille pour soi si, brassier, on est à l'extérieur dans la semaine. Ou bien la messe en famille, les hommes prenant bien soin de se rassembler de préférence dans le fond de l'église, près de la sortie, c'est la tradition. Dès l'Ite missa est - ou même un peu avant - les hommes se retrouvent au cabaret pour boire un verre, certains jouent au jacquet ou aux cartes, d'autres "font" aux quilles de neuf - il y a deux terrains à Galan - et y reviendront peut-être dans l'après-midi, les femmes en profitent, étant au bourg, pour faire de menues emplettes ou consulter le médecin. Le notaire aussi reçoit le dimanche. En fin de siècle, comme cela se pratique en ville, on organise des petites fêtes où on chante et où on danse.

Bien sûr, la fête du village à la Saint Julien est une manifestation importante dans l'année mais on peut considérer que les gros travaux ponctuels : vendanges, moissons, dépiquage ont eux aussi des allures de fête. À la Sainte Luce, les jours vont rallonger et c'est une grande fête, (voir Quelques rites datant de la nuit des temps).


Les distractions.

Le tripot
L'Illustration
D'une seule voix, les personnes interrogées répondent : "Il n'y avait pas la télé, c'est elle qui a tué les relations". Avant la télévision on peut aussi incriminer le café, le cabaret ou le tripot où les hommes passaient souvent leur soirées !
A part le marché de Lannemezan évoqué plus haut et qui revêt pour beaucoup une grosse importance car c'est la sortie hebdomadaire imposée même si on rien à y faire, il n'y a guère d'occasions de se distraire. Bien sûr les bals du samedi soir attirent les jeunes et on va quelquefois, le dimanche après-midi, rendre visite à quelque parent ou amis. C'est l'occasion pour la maîtresse de maison de vite préparer des merveilles, ces délicieux beignets et d'offrir un verre de noah, ce vin blanc au goût particulier dont la production est maintenant interdite.
Le billard de table
L'Illustration
Les soirées d'hiver donnent lieu à de fréquentes veillées qui ont la propriété d'être à la fois utiles et distrayantes. Les voisins et amis de tous âges viennent donner un coup de main pour despérouca ou déshoueilha du milhoc, le maïs. Ils arrivent par petites groupes à la lueur de lanternettes, et déjà on rit. La soirée va se passer à effeuiller, plus exactement à enlever les sépales qui enveloppent l'épi qu'on appelle les gouspes en patois. Pour certains épis, les plus beaux, on conserve quelques gouspes pour pouvoir suspendre les épis au plafond une fois rassemblés en grappes par des tresses, pour qu'ils sèchent et surtout pour faire joli devant l'entrée ou dans la pièce principale, car on est fier de ses maïs. Mais la plupart des épis sont complètement mis à nu pour être étalés dans le grenier. Cela prend beaucoup de temps.
On se raconte des histoires quelquefois déjà entendues, ce qu'on se doit de ne pas relever, qui déclenchent des rires contagieux. Certains habitués particulièrement talentueux sont des conteurs intarissables. Et l'un se met à chanter, il est seul d'abord, puis tous reprennent au refrain.
Voici un extrait du livre de A. Abadie, Itinéraire historique des Hautes-Pyrénées, où il évoque ce sujet :
Cette imagination vive et amie du merveilleux, les nourrit d'illusions et des traditions les plus fabuleuses : ils abrègent les longues veillées de l'hiver par des comptes de sorciers et de loups-garous, qui ne rencontrent jamais d'incrédules. Du reste, il est remarquable qu'on retrouve des comptes entièrement semblables dans l'Âne d'or d'Apulée et le Festin de Trimalcion de Pétrone.

À l'époque des châtaignes on en fait griller dans la poêle spéciale percée de trous, en prenant bien la précaution de couvrir le châtaignes une fois cuites pour qu'elles ne se dessèchent pas, soit avec un torchon de laine, soit avec de l'herbe. On goûte le bourret, le vin nouveau dont il est bon d'apprécier les qualités découvertes à l'instant. La soirée se termine vers 11 heures ou minuit par un gâteau, de la confiture, ou tout simplement par un coup de noah ou de blanche pour les amateurs. D'autres fois, le samedi par exemple, on "va faire aux cartes" chez un ami, à la manille surtout, à l'écarté et plus récemment à la belote. Tout cela entretient des relations de voisinage et une vie collective que les machines agricoles puis la télévision on fait disparaître.
Il n'y a pas de tennis, ni de football - il faudra attendre 100 ans -, ni de pétanque née en 1921 à La Ciotat. Tout simplement, on va jouer aux quilles, on dit aux "quilles de neuf". Les deux quilliers de Galan attirent joueurs et spectateurs.

Le quiller et le jeu de quilles de neuf.
[Source "Chez nous, en Gascogne" de Joseph de Pesquidoux, éd. C. de Bartillat.]

Un carré de 8 m de coté, le sol est de la terre battue choisie pour ne pas être boueuse par temps de pluie, ni poussiéreuse par temps sec. Le terrain est limité par des planches de 35 cm de haut posées de champ et fixées sur de solides piquets fichés profondément dans le sol. Une boule heurte une planche, et c'est une faute.
Les quilles de neuf.
A l'intérieur de cette aire, un autre carré, lou quillé, de 4,60 de côté est planté de piquets distants de 2,30 m dont la tête est à fleur de terre. Ces piquets recevront 9 quilles de 95 cm de haut tournées dans du bois de hêtre et pèse 3,5 kg. Des clous sont plantés sur quatre rangées distantes d'un doigt à hauteur de l'impact de la boule pour la protéger du choc : un corselet d'acier. Le bois doit être très sec pour donner un son clair, presque métallique quand la quille retentit sous la boule. Celle-ci est faite de noyer, pèse 6 à 7 kg, diamètre 25cm, elle est percée d'un trou qui permet au pouce de la saisir et d'une brèche où se logent les autres doigts de la main, ce qui permet de serrer la boule avec force et précision.
La partie se joue - l'enjeu est souvent du vin : 2 litre pour la première partie, 3 pour la deuxième - en quatre jeux de deux passes chacun. La passe est de deux coups mais si, au premier coup, la boule a touché la bande, le joueur ne peut faire le deuxième coup. Deux joueurs ou quatre par équipes de deux s'affrontent sachant que l'adversaire jouant au deuxième coup doit renverser une quille de plus que celui qui a joué avant lui. On tire à pile ou face pour savoir qui jouera le premier, c'est face qui commence. Les coups sont au nombre de sept : le corps, le neuf, la rue, la saute-rue, le sept battant-au-neuf, le sept, le court. Le jeu consiste à abattre le plus de quilles possibles en deux coups. Après chaque coup les quilles sont relevées après que le "billardier" ait compté les quilles renversées. On joue dans le silence, troublé seulement par la musique des quilles; force, adresse et béret sont de rigueur. Des concours sont institués entre les villages où les champions se présentent en pantalon blanc, chemise sans col, ceinture de laine au flanc, chaussés d'espadrilles. Joseph de Pesquidoux raconte : "...Et le champion vainqueur rentre à pas pressés à son village apportant avec lui comme un bruit de lauriers...", et citant Rabelais racontant où avait été découverte "la généalogie et antiquité de Gargantua : Dans un pré, près l'arceau Gualeau, en dessoubs de l'Olive dans un tombeau, et ceux qui l'ouvrirent à coups de pioche trouvèrent neuf flacons en tel désordre qu'on assied les quilles en Gascogne, desquels celui qui au milieu [donc le neuf] était, couvait un gros, gras, grand, gris, joli, moisi livret, plus, mais non mieux sentant que roses...".
Isabelle Gratacos consacre un chapitre de son livre "Femmes Pyrénéennes" à l'engouement des femmes pour ce jeu. Le dimanche ou les jours fériés elles jouaient entre elles à sept ou huit de tous âges, mais les "vieilles" avaient le droit de se rapprocher de deux ou trois pas pour lancer la boule.


Le pêle-porc.

La plus grande "cérémonie" - encore en usage, mais réalisée maintenant de façon plus expéditive - c'est le pêle-porc, une vraie fête appelée aussi "La Fête du Cochon", mais un fête où on travaille dur. De nos jours on tue encore deux ou trois cochons bien gras par famille, ils feront la viande de l'année.
Le samedi est souvent choisi parce que les enfants et autres relations seront disponible le lendemain. On est frappé par l'organisation du travail, un modèle. Une personne donne des ordres : c'est la femme la plus ancienne de la famille, elle détient l'autorité que lui confèrent l'expérience et le souci du respect des traditions. Les hommes interviennent au début surtout, pour le sacrifice (puis pour les repas !), ensuite on les enverra faire la corvée de bois et épisodiquement et sur injonction expresse seulement, il viendront tourner le hachoir. À quatre ils amènent la bête quelquefois énorme, plus de 200 kg, consciente du danger, rugissante, et l'allongent dans une auge en bois, la mée. Avec une précision de chirurgien le bourreau va œuvrer : à un endroit qu'il choisit minutieusement selon la bête, il enfonce son couteau jusqu'à une certaine profondeur, le fait pivoter d'un quart de tour, le déporte par côté, tranche et c'est fini. Quelques secondes, le sang coule, soigneusement récupéré dans un chaudron, puis tourné sans arrêt à la main par la responsable; de temps en temps elle jette aux chiens les filaments de fibrine qui se forment, ils feraient cailler le sang. Le cochon, Arrosé d'eau presque bouillante le cochon est minutieusement "pèlent" avec des grattoirs et des cuillers, on le retourne avec les deux chaînes prévues à cet effet au fond de la mée.
La "toilette" finie, on le suspend par les pattes de devant tenues écartées par un bâton. Le "coupeur" peut alors intervenir, il a le savoir-faire d'un boucher. Les hommes alentour font des commentaires sur la qualité de la bête, l'épaisseur du lard, signes qui ne trompent pas pour apprécier la maison. La première tâche dévolue à deux femmes est d'aller à la rivière laver le "ventre", c'est à dire les boyaux et la panse : une heure d'une dure corvée car il fait froid et l'eau est froide. A midi, on mange le cœur et le foie s'ils n'ont pas été mis au pâté, une poule farcie, quelques poulets rôtis, une petite salade, pas de fromage, une tourte, ou un massepain, ou des gâteaux au fer en forme de cornets, café, pousse-café pour les hommes. Le soir, se sera les entrebious (voir "Gourmandises" pour la recette). Une période de l'année où on mange de la viande fraîche.
Le cochon sera laissé au frais, en paix toute le nuit, pour que la chair rassisse.
Le lendemain, les morceaux sont livrés découpés aux femmes qui vont devoir travailler deux jours pour hacher, parer, mettre en bocaux le confit, etc. Il peut y avoir là 10 personnes ou plus qui y travaillent.
La préparation du boudin est à elle seule tout un cérémonial. Dans un chaudron, on prépare un bon bouillon de légumes : carottes, navets, oignon piqué de clous de girofle, poireaux, sel et poivre. La viande destinée au boudin va cuire trois heures dans ce bouillon : poumons, rate, foie et cœur s'ils n'a pas été prévus pour être mangés à part, gorge (goula) dont les entrebious. Une fois cuite, cette viande sera retirée du bouillon et hachée, elle ira remplir les boyaux, quelquefois on rajoutera de l'oignon, au moins pour une partie. Puis le sang est ajouté à ce mélange, il a été assaisonné par la maîtresse de maison responsable de cette opération délicate - elle le goûte alors cru - avec sel, poivre, épices Rabelais (les quatre épices), dans des proportions qu'on ne dévoile pas. La chose sera jugée ultérieurement. Les boyaux sont préparés, la graisse qui adhère est enlevée au couteau, leur étanchéité est testée par deux femmes qui soufflent à chaque extrémité. Une extrémité est fermée avec une ficelle de 60 cm, puis le boudin est rempli avec un entonnoir. Le mélange doit être tassé, mais pas trop, car si le boyau venait à éclater à la cuisson ce serait la déchéance, et on ne plaisante pas. On ferme l'autre extrémité qu'on joint à la première, on attache au bout d'un bâton. Les boyaux vont être trempés dans le bouillon pour la cuisson finale, mais l'opération ne se fait pas sans précautions. Au préalable, la responsable de la cuisson exige, autoritaire et indiscutée :
- un homme va aller dans le jardin couper des feuilles de chou,
- les portes et fenêtres de la pièce sont fermées et le resteront impérativement pendant la cuisson, ce qui signifie que personne ne pourra ni entrer ni sortir de la pièce.
Et pendant une demi-heure elle tient son bâton lui donnant un mouvement de haut en bas lent et régulier, elle évite de faire toucher le fond aux boudins, tout en gardant un œil attentif sur le feu. Personne ne parle. Quand elle l'a décidé, elle sort les boudins du bouillon, les regards sont fixés sur les boudins : tous sont entiers, ça va, on apprécie et on le dit; l'un d'eux s'est crevé, c'est la réprobation, la honte. L'homme revient avec les feuilles de chou qu'il étale sur une table et sur lesquelles on va poser les boudin avec précautions, ils sont encore fragiles. Avec le bouillon, on va faire de la pâte avec de la farine de maïs toute imprégnée de cet élixir de bouillon, on la fera griller plus tard.
Le lendemain de la cérémonie, c'est la tradition, toujours un geste : un petit échantillon de boudin, de saucisse, de filet est offert à un voisin ou ami qui n'a pu être présent, ou au curé, à l'instituteur, au facteur. Souvent le tueur reçoit un joli morceau comme rétribution.
Le second jour, on ne chôme pas, c'est au tour des épaules et des jambons d'être traités : gros sel sans compter, poivre grossier pour écarter les mouches pondeuses et, comme destination, soit la cendre, soit, enveloppés dans un sac de coton, séchage dans une pièce aérée. Le lard est mis au sel quelques jours, puis suspendu à côté des jambons. Le lard de poitrine ou ventrêche sera roulé avec sel et poivre comme un rôti. On en fera des tranches pour aller avec les œufs au plat. Délicieux. Le tri de la viande fournit des petits morceaux qui, salés (30g/kg), poivrés, hachés, vont à la saucisse et au saucisson. On rajoute quelquefois de l'ail pour une partie. Séchage avec les jambons, consommation dans les deux à trois mois. Si certains morceaux nobles comme les filets, côtes, longe et autres rôtis, ou les coustous vont être vite mangés, une grande partie sert à faire du confit qui conserve la viande pendant des mois dans des pots en terre vernissés réservés à cet usage. La viande est d'abord "mise au sel", tassée, et cuite à feu doux avec la graisse pendant trois heures. Actuellement la stérilisation dans des bocaux en verre hermétiques est très utilisée, et le congélateur a modifié les habitudes : il garde la viande fraîche quelques mois, mais pas trop longtemps, mettons six mois maximum, le porc rancit plus vite que les autres viandes. Les divers pâtés et rillettes toujours appréciés sont produits en quantité, de même que saindoux et ses délicieux déchets que sont les fritons.

« Quel admirable animal que le cochon ! Il ne lui manque que de savoir faire lui-même son boudin ».
Jules Renard



Vous pouvez aller goûter quelques recettes à Cuisine du terroir.

Voici la description d'un cochon vu par le très sérieux Hyppolite Taine dans son Voyage aux Pyrénées ouvrage déjà cité. Voir Morceaux choisis dans le Menu principal et Le Pic du Midi dans Promenades du Menu Principal.

« Pourquoi ne parlerais-je pas de l'animal le plus heureux de la création! Un grand peintre, Karl Dujardins l'a pris en affection; il l'a dessiné dans toutes les poses, il a montré toutes ses jouissances et tous ses goûts. La prose a bien les droits de la peinture, et je promets aux voyageurs qu'ils prendront plaisir à regarder les cochons. Voilà le mot lâché. Maintenant songez qu'aux Pyrénées ils ne sont pas couverts de fange infecte, comme dans nos fermes; ils sont roses et noirs, bien lavés, et vivent sur les grèves sèches, auprès des eaux courantes. Ils font des trous dans le sable échauffé. et y dorment par bandes de cinq ou six, alignés et serrés dans un ordre admirable. Quand on approche, toute la masse grouille; les queues en tire-bouchon frétillent fantastiquement; deux yeux narquois et philosophiques s'ouvrent sous les oreilles pendantes; les nez goguenards s'allongent en flairant; toute la compagnie grognonne; après quoi on s'accoutume à l'intrus, on se tait, on se recouche, les yeux se ferment d'une façon béate, les queues rentrent en place, et les bienheureux coquins se remettent à digérer et à jouir du soleil. Tous ces museaux expressifs semblent dire fi aux préjugés et appeler la jouissance; ils ont quelque chose d'insouciant et de moqueur; le visage entier se dirige du côté du groin, et toute la tête aboutit à la bouche. Leur nez allongé semble aspirer et recueillir dans l'air toutes les sensations agréables. Ils s'étalent si complaisamment à terre, ils remuent les oreilles avec de petits mouvements si voluptueux, ils font des éjaculations de plaisir si pénétrantes, qu'on en prend de l'humeur. 0 vrais épicuriens, si parfois en sommeillant vous daignez réfléchir, vous devez penser, comme l'oie de Montaigne, que le monde a été fait pour vous, que l'homme est votre serviteur, et que vous êtes les privilégiés de la nature! Il n'y a dans toute leur vie qu'un moment fâcheux, celui où on les saigne. Encore ils passent vite et ils ne le prévoient pas ».

Voilà un autre récit du pêle-porc écrit par un grand écrivain, Arnaud de Pesquidoux, alias Jean Taillemagre, fils de Joseph de Pesquidoux (voir Références bibliographiques sommaires).

Un long cri frissonnant traversa 1'aube; tout aussitôt, dans les fermes voisines, les chiens réveillés hurlèrent. Jeanti toucha du coude sa femme. - ÉÉEcoute, à Tastet, ils "font un sort" au cochon. - Il va se défendre, dit-elle, le "pôvre". Il pèse au moins cinq cents livres. Là-bas, malgré la graisse qui enrobait ses muscles, boursouflait son corps énorme , lui réduisait le souffle, le porc se débattait avec désespoir. Il luttait contre les quatre hommes qui 1'avaient assailli, traîné hors de sa loge. Basculé dans un pétrin, écartelé, il tirait de toute sa vigueur, tantôt sur une patte, tantôt sur 1'autre. Il se plaignait à grands déchirements de gorge, arc-boutant ses reins emprisonnés par le bois pour mieux tenter de s'arracher aux étreintes. Il ne vit pas le boucher lui donner le premier coup. La lame s'enfonça dans la chair dense, un jet de sang gicla avec un son clair dans la bassine, tenue à pleins bras sous la tête barbouillée d'incarnat, et les muscles du cou cisaillés, le cochon se laissa aller... Soudain, un rayon de soleil tâtonna un instant au levant de la maison, caressa l'étable, pour s'immobiliser enfin, l'éclaboussant de blondeur, sur le groupe accroupi autour de l'agonie animale. Les hommes soufflèrent. "On va boire un coup", dit Tastet. Dans la cuisine, le feu sautait entre les chenets, léchant une bassine emplie d'eau. Sur la longue table rectangulaire, les verres encadraient la bouteille de vin blanc; un de ces vins secs et fruités dès la première année, et ils commencèrent de se raconter, réjouis, de savoureuses histoires de tue-cochons. L'an passé, le porc des d'Anglade s'était sauvé, le coutelas fiché au travers de la gorge. L'autre jour, le petit des métayers de Lahargue n'avait-il pas tenté, en ouvrant la porte de la loge, de faire échapper la bête avant le sacrifice, tant il l'aimait tendrement... Et les hommes de rire. "Un que tu as failli ne pas avoir, hé! boucher. "Il restait impassible, ceint de son tablier taché de sang; le coutelas engainé sur le ventre. C'est lui qui poussa les autres dehors pour l'aider à tirer sous le hangar le pétrin encombré de la masse gisante. Alors il roula ses manches au-dessus des coudes, fit apporter l'eau bouillante, se mit au travail. Aidé d'une femme, à grands coups de louche, il lavait le cochon, grattant, lissant la peau finement velue. Rose tendre, elle se mit à luire, zébrée de filigranes graisseux d'un blanc éclatant. Il besognait vite. La bête, échaudée, hissée à hauteur d'homme, suspendue à une poutre, tête en bas, oscilla un instant avant de s'immobiliser.
Il commença le dépeçage. La tête d'abord tranchée, jetée dans une bassine, il fendit la bête en deux. Les voisines, elles, allaient de la grange à la cuisine, emportant les morceaux de chair découpés. Elles étaient venues aider la Jeanne avec joie. "Le pêle-porc" est une des grandes fêtes paysannes où l'on invite ses proches, ceux qui sont de vos joies comme de vos peines. Il est juste donc qu'ils viennent, avec vous, secouer la monotonie des jours d'hiver obscurs et boueux. Les jambons partaient, et la poitrine avec son armature de côtes, et les reins masqués d'une épaisse couche de graisse accumulée au long des lentes digestions. Le boucher "levait" les épaules d'une rapide incision circulaire, isolant par deux traits, au-dessus et au-dessous des jarrets, les jambonneaux bardés de lard. Une odeur fade suintait de tous ces morceaux démembrés, hachés, certains largement saupoudrés de sel. Un peu à l'écart, Jeanne, mêlant au sang de minces tranches de gras, farcies d'oignons, entonnait des débris colorés et fluides dans l'intestin grêle hâtivement ébouillanté. Du tranchant du coutelas, le boucher vidait de toute sa chair la bête suspendue, allant lui-même au milieu des femmes continuer la découpe des morceaux choisis pour être enfouis dans les pots de grès vernissés.
...


La pêche et la chasse.

Oui, on a pêché l'écrevisse et la truite à Galan !
Un membre de la vieille tribu Galanaise "Mac" raconte :
"Nous avions droit à 100 écrevisses par pêche. Douze balances étaient placées à des endroits repérés; Quand la 12ème était placée, il n'y avait qu'à lever la 1ère. Il fallait rejeter toute proie dont la queue était plus petite que notre pouce, et on faisait une dizaine de pêche par vacance. En 1912, un curiste de Capvern fut prévenu. Il empoisonna méthodiquement la rivière, envoya ses prises à Paris et gagna une petite fortune. Il n'y a plus d'écrevisses dans la Baïsole depuis 1913. Nous savions tous pêcher les truites à la main en naissant. Le mauvais était de rencontrer sous la racine, un rat, un serpent ou une anguille. Cette dernière était catastrophique car elle s'entourait autour du poignet, ne voulait pas partir et empêchait le bras de sortir du trou. Il fallait appeler à l'aide. généralement cette rencontre coïncidait avec la dernière pêche de l'année. Il fallait six mois pour se remettre de cette émotion".

Voir Les sports à Galan.



Mais il y a aussi des soucis :
aléas, difficultés, adversités, risques, santé,
instruction, mentalités, caractères, comportements.

Un berger de la Vallée d'Aure.
Pas toujours facile.
Mais une belle tête !

Cl. Yan


Les conflits.

L'Ancien Régime finissant et l'amorce du XIXe siècle connaissent de nombreuses tensions dans la région. Nous avons évoqué le refus de payer la dîme du maïs et ce n'était qu'une manifestation parmi cent autres du caractère revendicateur, individualiste et même quelquefois agressif du Pyrénéen. Certes, il y a des raisons : le surpeuplement crée des troubles, la jeunesse n'est pas assez occupée, "la ville de Castelnau-Magnoac est un lieu de licence, on s'y permet tout", écrit un Conseiller Municipal de la ville. Les récents propriétaires terriens endettés sont inquiets, des avocats et agents d'affaire prolifèrent à l'affût de causes enrichissantes et d'ambition. Les règlements communaux sont bafoués, les autorités ridiculisées, il faut protéger les propriétés individuelles et les biens communaux; l'arsenal des mesures répressives semble exciter les esprits sans pour autant rétablir l'ordre. La famille connaît une criminalité grandissante, exemple : un fils cadet jaloux des avantages de l'aîné le frappe à mort...
Les femmes sont montrées du doigt : "...elles critiquent et censurent tout le monde et sacrifient facilement leur conscience à un léger intérêt".

Une coutume locale qui peut mal tourner : le charivari.
Qu'un homme vienne à convoler en secondes noces avec une jeunette, ou qu'une femme d'un certain âge épouse un petit jeune, cela se paie. Si les mariés refusent de payer leur écot, il ont droit au charivari. Le soir du mariage, les jeunes du village s'arment de toutes sortes d'ustensiles aptes à faire du bruit : cloches, chaudrons, tambours, et vont égayer la nuit de noce. Les choses ne se passent pas toujours bien. À Galan, on a en mémoire un charivari qui, en dépit de la mansuétude des gendarmes s'est terminé au tribunal de simple police. On en parle encore, c'était la fois où le cachot de la gendarmerie avait servi.


Les déplacements.

Il faut reconnaître que la vie reste difficile même en l'absence de disettes. L'isolement persiste bien que les routes principales (impériales ou royales) ou départementales soient entretenues, développées et améliorées.
Nos aïeux voyageaient à la vitesse de 7 à 16 km/h de moyenne.
La route Bagnères-Auch via l'Escaladieu, Lannemezan, Castelnau-Magnoac date de 1837, en 1848 la malle-poste relie Tarbes à Limoges en 25 heures et de là on peut rejoindre Paris à l'aide d'une malle-poste jusqu'à Châteauroux puis par chemin de fer. Les transports sont actifs dans les Hautes-Pyrénées : le chiffre d'affaire est multiplié par 4 entre 1830 et 1844. En 1859 est implantée la ligne de chemin de fer Tarbes-Morcenx et en 1867 la ligne Toulouse-Bayonne. Il faut noter que le prix des transports en commun est élevé : en 1846 l'aller et retour Tarbes-Pau coûte 14 francs, soit l'équivalent de près de 12 jours de salaire d'un ouvrier agricole. Donc on se déplace peu et l'horizon est limité à la commune ou au canton, si ce n'est pour les foires et les marchés.


Les risques.

Depuis de temps immémoriaux, on a la hantise des violents orages de grêle et Galan figure dans la liste maudite. Une observation intéressante est faite à la fin du XVIIIe siècle : durant des combats où donnaient des canons, les espagnols avaient remarqué que les gros nuages de grêle avaient épargné leur région, d'où l'idée d'imaginer d'utiliser des batteries de canon pour préserver de la grêle. Cette hypothèse n'était pas sotte et fut reprise 150 ans plus tard (voir Catastrophes naturelles). Le seul remède, si l'on puis dire, sont les compagnies d'assurances aux primes coûteuses, mais il n'y a pas d'argent. Les incendies sont mal maîtrisés, les petites communes ne possèdent guère de matériel. Les toitures de chaume augmentent le risque et les autorités encouragent les couvertures en tuiles ou en ardoises. Là encore, on recourt à l'assurance proposée par des vendeurs qui sillonnent la campagne. Les épidémies affectant le bétail créent une insécurité, une cause d'appauvrissement supplémentaire et les artistes-vétérinaires comme on les appelait ne sont pas très compétents. Un bœuf adulte vers 1900 pesait 200 kg en moyenne, c'est le poids d'un veau actuel de quatre mois d'âge et une vache 120 kg.


La santé.

Même si la disette ne sévit plus, la santé, donc la vie, est précaire. Il n'est pas rare qu'un conscrit sur deux soit exempté au conseil de révision, mais on ne peut exclure certaines interventions complaisantes... Une remarque : le Haut-Pyrénéen avait une taille moyenne inférieure de 2 cm à la normale. En fait, plus qu'une ration calorique insuffisante, c'est le mauvais équilibre de l'alimentation qui est responsable : excès d'hydrates de carbone, manque de lipides et de protides, absence quasi totale de poisson, carence de potassium, de calcium, de vitamines.
Au milieu du XIXe siècle des maladies épidémiques s'abattent sur les populations locales : la syphilis introduite dit-on par les militaires et qu'on ne sait pas soigner et le choléra qui sévit dans la proche Barousse. Les médecins dénoncent l'absence d'hygiène : "les paysans sont généralement malpropres, ne prennent aucun soin de leur toilette" écrit l'un d'eux. La typhoïde est répandue, on l'attribue au fait que "les ruelles du chef-lieu sont de véritables latrines".
Les médecins sont rares et incompétents. Les cantons les mieux pourvus sont les stations thermales, environ un médecin pour 1000 habitants, les plus démunis n'ont qu'un médecin pour 6000 habitants, Lourdes est très mal classé avec un médecin pour 6934 habitants; les miracles compenseront-ils ce mauvais score ? Vers 1900, les sages-femmes sont aussi une rareté, mais Bonrepos en comporte une qui dessert Galan. En 1846, le canton de Galan compte 0,9 médecins pour 1000 habitants, ce qui le situe dans la moyenne (source : "Bigorre et Quatre Vallées, op. cit") . Nombre de cantons n'ont pas de pharmacie et certains médecins comme celui de Galan jusque vers 1940 y pallient avec une pro pharmacie de dépannage. Ce déficit en médecins et aussi leur coût engendre la prospérité d'une médecine parallèle constituée de rebouteux et de guérisseurs dont certains vont même jusqu'à avoir une spécialité.

La pauvreté.


[Sources : Gens et choses de Bigorre. Sté Ramond et CNRS.1987.]

Voici un graphique qui parle. Il représente les émigrants des Hautes-Pyrénées au milieu du XIXe siècle vers des pays prometteurs.


Pourquoi une telle émigration à cette époque ?

Les conseils maternels
avant le départ.
La semaine agricole 15 janvier 1882
La "maison" qui est le patrimoine d'une famille revient par tradition en totalité à l'aîné que ce soit un homme ou une femme, principe qui est en contradiction avec le Code Civil (1804) qui veut que tous les hommes - donc les enfants - naissent égaux en droit. Il n'y a pas de place pour les puînés, l'un d'eux pourra peut-être rester à la maison, mais comme valet, les autres s'expatrieront, se marieront.
Cette situation peut avoir des conséquences délicates même fâcheuses quand c'est une femme qui hérite; elle détient alors tous les pouvoirs. Si elle se marie, son époux est seulement "venu gendre", il n'est pas chez lui, son statut est bien celui d'une pièce rapportée. L'épouse "venue belle-fille" dans une maison supporte les mêmes inconvénients.
Il faut dire que l'économie locale n'est pas florissante. Sans la terre, on en est réduit à être artisan : étameur, chaudronnier, aiguiseur, ferblantier, et, si c'est nécessaire, on exporte ses services en Espagne. Les femmes font du colportage* vendant du linge, du tricot, de menus objets, chapelets, canifs, car la marchandise ne doit pas être trop lourde, les déplacements se faisant le plus souvent à pied. Certaines vendent des articles provenant d'une fabrique locale, ce qui évite une mise de fond préalable. Destinations : Normandie, Artois, Aquitaine, Italie du Nord, Espagne.
*Sur le colportage au XIXe siècle dans les Pyrénées centrales, on peut lire l'intéressant article de Jack Thomas, paru dans la Revue du Comminge, tome CXVI, page 849.

La surpopulation atteint son maximum en 1830, elle existe malgré une faible natalité et une forte mortalité infantile. Ce qui explique l'émigration évoquée plus haut. Des cas existent, dans nombre de familles galanaises, de parents qui, exilés, ont gagné de quoi se faire construire une maison au retour. On reconnaît la maison à l'étoile gravée dans la clef de voûte de la porte d'entrée.
Certains se sont expatriés et ont fait souche dans d'autres continents. J'ai retrouvé une ancêtre, Ibos de Galez, qui a élu domicile en Californie vers 1860. Ses descendants sont heureux de m'avoir découvert et fiers de ces racines bigourdanes. Malheureusement ils ont américanisé leur nom qui est devenu Ybos.
La dernière descendante d'une vieille famille galanaise me raconte :
"mon grand-père avait cinq frères et sœurs. L'aîné, comme il se doit, hérita de la propriété, sa cadette fut mise en pension chez les bonnes religieuses avec mission de la faire entrer dans les ordres, qu'elle ait ou pas la vocation. Un des jeunes cadets, garçon-boucher décida de tenter l'aventure en partant pour la Californie. Après un bon démarrage où il gagna de l'argent, il acheta une propriété à un curé qui se révéla peu scrupuleux, écrivit-il, car il n'était pas le propriétaire en titre. Dans une lettre qui fut sa dernière, il nous annonça que s'il retrouvait ce curé, il le tuerait. On n'a plus eu de nouvelles. Peut-être a-t-il été tué lui aussi.
Mais surtout, n'en parlez pas... Si un américain venait nous retrouver par ici !
"


Histoire de Galan : quelques points de repère.

Difficile à résumer, car c'est une histoire compliquée. J'ai réuni quelques éléments très succincts, simplement pour situer l'action.
Donc, si le cœur vous en dit, allez à "Un bref aperçu de l'histoire de Galan".
Et si vous éprouvez un penchant pour la démographie, n'hésitez pas, cliquez ici : L'évolution de la population de Galan" depuis 1803.

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