La nourriture de tous les jours

[Ce chapitre a été fait avec l'aide, ô combien chaleureuse et précieuse, de Madame Délas de Campistrous, incollable sur la question].

On vit en autarcie, sans luxe, mais la nourriture se doit d'être riche car les travaux sont durs. Les repas ne sont pas variés : soupe de légumes aux haricots et pommes de terre avec un bon morceau de lard ou de confit, versée dans l'assiette sur quelques fines tranches de pain, les soupes. Le soir à nouveau pommes de terre, mais "à la paysanne", revenues doucement à la graisse, auxquelles on ajoute souvent quelques œufs battus, ou un ragoût, soit de haricots blancs genre cassoulet, soit de haricots rouges longuement mijotés avec du vin rouge, des abattis de volaille, un talon de jambon... L'habitude des hommes est de faire chabrot : le verre de vin dans l'assiette à la fin de la soupe qui prépare la suite. On boit à même l'assiette. Pour finir, une salade aux cornichons et quelques fruits, selon...

Voilà comment A. Abadie décrit le menu du paysan en 1857 dans son livre Itinéraire Historique des Hautes-Pyrénées :
"Leur nourriture habituelle est du pain de seigle, mêlé d'orge et de froment, des légumes et de la pâte de maïs avec du lait. Sans un cochon et quelques chèvres que chaque familles sale tous les ans, ils seraient d'excellents Pythagoriciens* ".
L'auteur donne la recette d'un pain économique, le "Pain Magonty" qui serait de nature à soulager la classe pauvre et dont le succès n'est cité nulle part :

Ingrédients Poids Préparation
Farine de froment 1000 g Mélanger les pommes de terre bouillies à la farine de maïs avec de l'eau très chaude, ajouter le levain en mélangeant bien, puis la farine de froment avec de l'eau bouillante. Laisser fermenter pendant 4 h½. Cuisson : 2h à 2h½ pour une miche de 5 kg dans un four un peu plus chaud que pour le pain de froment.
Maïs 400 g
Pommes de terre 200 g
Levain de bonne qualité 600 g


En schématisant, on consomme les produits de la ferme dans la mesure où ils n'ont pu trouver acquéreur au marché, ce qui est la priorité : volailles, porc, légumes du jardin. Peu de beurre, pas de fromage, curieusement pas de mouton, ou d'agneau, ou de veau, pourtant produits à la ferme. La matière grasse est surtout animale, de porc, de canard, d'oie et, pour une faible part, végétale : on a cassé des noix pendant les soirées d'hiver et le moulin de Galan a préparé l'huile. Le résidu du broyage, le tourteau, mélangé à du sucre et à du miel donne une sorte de turon bas de gamme. La pâte de coings est une friandise maison courante. Le raisiné est une confiture économique car elle est préparée sans sucre. Au moment des vendanges : on remplit un grand chaudron de jus de raisin qu'on fait réduire de moitié à gros bouillons. Le volume évaporé est comblé par des fruits de saison, poires, pêches, figues. Le mélange est à nouveau réduit de moitié à feu doux, puis versé dans des écuelles qui, rangées dans le four à pain après une fournée, y séjourneront vingt quatre heures. La surface brillante est recouverte d'un papier trempé dans l'eau de vie, ce qui assure une conservation prolongée assurée.

Les gâteaux et pâtisseries traditionnels sont :
- la tourte, un quatre quart au levain,
- les merveilles délicieuses, voir "les merveilles d'une Galanaise, mais ce ne sont que ses gâteaux",
- le crêpes, vite faites avec deux poêles,
- les gâteaux au fer, sorte de gaufres aux jolis reliefs,
- les beignets, de pomme par exemple,
- le massepain, sorte de gâteau de Savoie aux amandes.

Le beurre est peu courant, le miel produit sur place remplace souvent le sucre qui, importé de Saint-Domingue, est cher, car la betterave ne règne pas encore. Le café, le chocolat très coûteux à l'achat sont peu consommés, la chicorée règne. L'homme prend son café au lever, puis va traire les vaches ; après quoi, un solide casse-croûte.
L'hiver, les châtaignes qu'on prend soin de conserver dans leur bogue, sont appréciées, grillées ou bouillies. Les enfants vont à l'école avec des "péréquos" plein les poches, ce sont des châtaignes cuites à l'eau dans leur peau, parfumées d'une feuille de figuier ou de laurier.
Le maïs surtout est à l'honneur. Produit à la ferme, il sert à confectionner des plats bon marché et nourrissants dont on aura plus loin quelques exemples.

Mais avant l'avènement du maïs, que mangeait-on ?

Nous ne remonterons pas jusqu'à la protohistoire où, assure-t-on, on se nourrissait localement de glands cuisinés au miel et aux aromates et dont la farine reste toujours appréciée des Turcs.
Les céréales.
Depuis des temps immémoriaux, les céréales sont appréciées, mais pas toutes, les modes ont changé. Elles seront présentes dans de nombreux plats traditionnels comme on va le voir.
L'orge de printemps à deux rangs appelé paumelle, l'avoine, le millet, on devrait dire "les millets" aux nombreuses variétés, dont les bons rendements sont appréciés. Le sarrasin qui apparaît au XVIe siècle est un concurrent sérieux en montagne du fait de son cycle végétatif de moins de 100 jours et de son rendement élevé. Les légumes courants sont le pois dont le pois carré, les lentilles, les fèves, les vesces. Les fruits sont omniprésents, la pomme en particulier. Par souci d'autarcie, la vigne est cultivée mais les vins qu'elle produit sont médiocres, ils sont âpres et de faible degré alcoolique.
Le jardin, qui est le potager, fournit des légumes variés, souvent délaissés de nos jours. Voir Les légumes cultivés au "jardin" à la fin du XVIIIe siècle ou au début du XIXe siècle.

Le maïs, le haricot, puis la pomme de terre.
Une révolution !


Quelques "nouveautés" en cuisine.

Le pastet
.
Le plat traditionnel du pêle-porc ; le meilleur pastet est fait avec le bouillon, ô combien parfumé, de la cuisson du boudin.
Voici la recette locale d'une variante de pastet, la pasta turada donnée par Madame Délas, de Castelbajac : dans une cocotte en fonte posée sur une braise bien incandescente versez en pluie fine 1 kg de farine fine de maïs et ½ kg de farine de blé. Faites chauffer doucement en remuant constamment avec une spatule en bois jusqu'à ce que le mélange ait une teinte "noisette". Mouillez avec 3 litres de bouillon jusqu'à l'ébullition. Vingt minutes de cuisson. Salez légèrement. Cette pâte épaisse est versée dans les assiettes où on la couvre de bouillon, de garbure, ou mieux, de daube. Une variante : versez la pâte dans un grand plat à bords relevés, laissez refroidir et découpez en tranches d'un centimètre d'épaisseur qu'on poêle à feu vif ou qu'on fait griller.
Certains raffolent de la paste turrade, d'autres moins, mais des cuisinières, surtout dans les familles nombreuses, me disent qu'elles en faisaient souvent, jusqu'à une fois par semaine parce que ce plat est nourrissant et économique. Cependant un ancien m'a avoué : "c'était bien bon, mais on finissait par en manger un peu trop souvent".

Dans la variante "pasto tripado", la recette est identique, mais on ne fait pas griller la pâte au préalable.
Les vrais amateurs prétendent que le meilleur pastet est celui qu'on prend au dessert avec un peu de lait et saupoudré de sucre...

La préparation du confit était l'occasion de préparer du pasto grasso. Après la cuisson du confit, il reste au fond du chaudron un jus salé et un peu de graisse, on ajoute du bouillon, puis on verse en pluie de la farine de maïs additionnée d'un peu de farine de blé. Après passage au grill, cette pâte était souvent dégustée sucrée.

Les micos se font à l'occasion du pêle-porc, profitant, là encore, de la saveur du bouillon de cuisson du boudin. On mélange un peu de boudin gardé à cette intention, sang, viandes, oignons et aromates avec de la farine de maïs et un peu de farine de blé. Des boules confectionnées avec ce mélange sont pochées dans le bouillon qui a servi à cuire le boudin. Après refroidissement sur un lit de paille, on découpe les micos en tranches qu'on fait griller. Cette recette est moins courante à Galan, peut-être est-elle plus "mountagnous".

Vous trouverez une recette de pastet différente proposée par Joseph de Pesquidoux sous le nom de millas. Il est peut-être plus bourratif encore, voir Joseph de Pesquidoux à table, la recette du millas.

Une difficulté consiste à avoir de la farine de maïs suffisamment fine, car à l'époque on va faire moudre son propre grain dans un des nombreux moulins établis sur la Baïse. Comme la mouture est un peu grossière, il faut tamiser la farine, les grains refusés par le tamis vont aux cochons.

Les gaudines, un plat de résistance.
Voici la recette de Madame Soulès de Bonrepos : dans une casserole de lait bouillant sucré, parfumé avec une feuille de laurier-sauce, on verse de la farine de maïs additionnée d'un peu de farine de blé qui assure le liant. La pâte obtenue doit être épaisse qu'on laisse refroidir dans un plat creux. On découpe en tranches et on fait griller. Se mange souvent saupoudré de sucre en poudre. Les enfants en raffolent.

Le mesturet similaire au pastet se faisait à la farine de millet. Farine blanche obtenue à partir d'un grain foncé. Plat moins apprécié, semble-t-il que le pastet, mais qui dépannait si le blé venait à manquer.

Un plat courant, le tourin, soupe vite faite au dernier moment après le travail, à base de tomates et d'oignons revenus dans la graisse, additionnée de quelques œufs battus avant de servir. Elle a la réputation d'être reconstituante après un rude journée de travail.

Pour d'autres recettes et spécialités, voir : Gourmandises.

Le miel, denrée courante, remplace le sucre. Une friandise à l'honneur est la pâte de coings et plus encore le raisiné : au moment des vendanges, on met dans un grand chaudron du jus de raisin qu'on a fait réduire de moitié, auquel on ajoute des fruits de saison : poires, pêches de vigne, figues qui ont cuit sans compter à petit feu. Avec ce mélange on remplit des écuelles en terre qu'on enfourne pour une journée dans le four à pain. Le résultat est une sorte de confiture concentrée fabriquée sans sucre.
L'idée était dans l'air :le rêve des chimistes de trouver un moyen de produire en métropole un sucre de la qualité de celui importé des Indes à un coût prohibitif. Voici ce qu'écrit sur ce sujet le chimiste Chaptal (Op. cit.) : "...La chimie ne désespéra pas le [sucre] suppléer; elle perfectionna alors les sirops au point de leur ôter le goût et l'odeur qui rendant l'usage de quelques-uns désagréables ; elle parvint à extraire du raisin une espèce de sucre qui, à double dose, peut remplacer le sucre de canne... ". Suit le récit des travaux et découvertes qui permirent, non sans efforts, de parvenir à utiliser la betterave comme substitut de la canne à sucre à qualité égale.
Dans un tout autre domaine, Chaptal fait une mention spéciale de l'indigo qui sert à produire le pastel - mais Galan n'est pas concerné - dont la culture sera pratiquée dans le Lauraguais qu'on baptisera alors le pays de Cocagne. [Voir également les comptes-rendus de Chapsal sur les progrès de l'industrie pendant la Révolution et l'Empire].

Un distillateur ambulant produit la blanche, 50° minimum, traitant à la demande prune, vin, figue ; mais c'est la maîtresse de maison qui a la charge de produire la liqueur : prunelle, cassis ou eau de noix. Pour celle-ci, la meilleure époque pour récolter les cerneaux est celle où ils se laissent transpercer facilement par une aiguille à tricoter.

Bien qu'il y eut trois boulangers, le pain est couramment fait à la maison, le plus souvent dotée d'un four, tous les 10 ou 15 jours. Pour le casse-croûte, on se découpe au couteau la valeur d'une bouchée et un peu de l'accompagnement : lard, oignon, jambon. La table de la cuisine est constituée d'une planche posée sur le coffre dans lequel on conserve le levain pour la prochaine fournée ce qui donne à la pièce une odeur caractéristique. On fait aussi du pain avec de la farine de maïs pure ou mélangée à la farine de blé; c'est plutôt un "gâteau compact, rude au gosier, d'une belle couleur jaune". En fait, les recettes et la composition du pain dépendent de la maison mais il est souvent à base de froment mélangé à une autre céréale, orge, seigle, méteil (seigle et froment), maïs, sarrasin.
Pendant la dernière guerre, et sans doute avant, on pratiquait le troc : une fois par semaine le meunier Tétet partait pour Recurt avec une carriole tirée par un cheval et remplie de miches de quatre kilos produites par Montamat. Il revenait le soir avec des sacs de blé à moudre et livrait ensuite la farine à Montamat. Le cercle était bouclé. Dans d'autres tournées il allait chercher des sacs de blé ou de maïs dans les fermes et amenait de la farine : le troc parfait.

La pomme de terre eut du mal à s'imposer au début du XIXe siècle seulement, voir "Les cultures traditionnelles" dans Les Galanais dans le courant du XIXe siècle. Puis, rapidement elle est de tous les repas et les animaux, les porcs et les chiens y ont droit. La variété dite "la blanche" qui donne beaucoup est appréciée.

Quant à la viande, c'est le confit de porc à toutes les sauces, associé aux légumes traditionnels : choux, haricots, pois et pommes de terre, pour le "bouillon", la soupe, ou le plat principal. Il est rarement fait appel au boucher si ce n'est à l'occasion d'une fête où on lui prend du "bouilli", le pot-au-feu. On ne tue pas couramment de mouton ou de veau pourtant fournis par la propriété, ils sont élevés surtout pour être vendus ou sont prévus et réservés pour une fête de famille, un mariage par exemple. Mais la poule au pot a droit de cité le dimanche, ou une autre volaille selon la disponibilité. Peu ou pas de pintades, fieffées criailleuses et un peu délicates à élever.

Le fromage est peu en vogue à Galan où la chèvre n'est pas trop prisée.

Les laitages sont le riz au lait, la crème anglaise, bien jaune, avec des œufs à foison, que certains parfument avec une feuille de laurier, le flan, le gâteau à la semoule.
La tradition de fabriquer du beurre ou de récolter de la crème fraîche n'existe pas à Galan. Les vaches fournissent peu de lait - le veau est prioritaire -  et elle font le travail du tracteur. Au petit déjeuner, les femmes et les enfants prennent un café au lait où la chicorée Leroux ne dissimule pas sa présence. Les hommes avalent un café avant d'aller soigner les vaches, il se restaureront vraiment après ce premier travail.

Le vin, même médiocre, fait partie du repas et l'eau, si celle du puits n'est pas potable, est fournie par une source sure, celle de la fontaine du levant par exemple. On y envoie les enfants, c'est la corvée d'avant le repas.




Les menus des jours de fête

Fête locale, dépiquage, pêle-porc Mariage Enterrement
Bouillon au vermicelle
Poule farcie Henri IV
Bœuf gros sel
Bouillon au vermicelle
Poule farcie Henri IV
Bœuf gros sel
Garbure
Lapin en civet
ou Alicot (aile et cou)
ou Entrebious (voir "Les gourmands")
Veau en sauce Morue en vinaigrette
Poulet ou canard Petits pois, ou haricots verts, ou macaronis au gratin. Ragoût de tarbais
Rôti de veau Volaille et veau
Salade verte Salade verte Fromage
Fruits, ou salade de fruits, ou pâtisseries (merveilles, gâteau au fer, beignets) Crème anglaise, tourtes, massepains. Café


* Pythagoriciens.
Voici un extrait de l'article "Pythagoricien" dans l'Encyclopédie de Diderot et d'Alembert, sous-chapitre "De la médecine de Pythagore" :
- Il faut s'interdire les aliments flatteurs, préférer ceux qui resserrent et fortifient l'habitude du corps.
- Il faut s'interdire le vin & les viandes.
- Il ne faut se nourrir ni du cœur, ni de la cervelle, ni de la mauve, de la mûre, de la fève, etc. [Cet etc. est inquiétant...].
- Il ne faut point manger de poissons.
- Le pain et le miel, le pain de millet avec le chou cru ou cuit, voilà la nourriture du pythagoricien.
- Il n'y a pas de meilleur préservatif que le vinaigre. [Ah ?...].
...
Il faut peut-être se méfier de cette doctrine, car on trouve plus loin ces affirmations inattendues, certaines plutôt drôles :
- La terre est cubique ; le feu, pyramidal ; l'air, octaèdre ; la sphère universelle, dodécaèdre.
- La masse de tous les éléments est ronde, il n'y a que le feu qui soit conique.
- L'espèce humaine a toujours été et ne cessera jamais.
...

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