, Un portrait des Gascons et des Bigourdans
Portraits des Gascons et des Bigourdans
Quelques instantanés de diverses époques
Un cas : Centulle de Béarn,
ses méthodes pour tenter de devenir Comte de Bigorre.

I. Un portrait des Gascons et des Bigourdans par Pierre Davity.
Pierre Davity, Seigneur de Montmartin, était un historien-géographe en vogue au XVIIe siècle.
[Extraits de "Estats, empires, royaumes et principautés du monde" (Orthographe d'époque), Édition de Genève 1665, tirés de "La Revue des Pyrénées ", tome VII, 1895, 6ème livraison.]
Les Gascons sont de gentils esprits, prompts et soudains au possible, tous boüillans & pleins de courage, propres à tout ce qu'ils entreprennent. Mais au reste ils sont altiers , et veulent toujours avoir le dessus, si bien qu'ils se rendent le plus souvent odieux et insupportables. Toutefois, quand ils se voyent parmy les autres nations, où ils sont plus faibles, ils cachent leur naturel et se rendent souples. Mais cela n'empesche pas qu'on ne voye à travers cette apparence leur fierté qui ne peut estre dissimulée.
Ils se plaisent à prescher leurs louanges & les ouyr. A leur dire personne n'est pauvre parmy eux, et quand ils sont hors du lieu de leur connoissance, le plus miserable et necessiteux fait le prince. Ils sont pour la grande partie avares et ardants à en avoir de quelque côté qu'il vienne, sont assez advisez et savent bien faire leurs parties. Au reste, ils sont envieux du bien d'autruy plus que nation de la terre, si pleins de mespris, lors qu'ils n'ont pas affaire de personne, qu'ils désobligent beaucoup de gens de leur cognoissance par leur mine. Mais quand ils ont besoin de quelqu'un on n'a jamais vu gens qui s'humilient davantage. Quant à la noblesse, elle est aussi brave, galante, courtoise et courageuse qu'on en puisse voir ailleurs. Elle se visite tellement, qu'on pourroit nommer avec raison les maisons des gentils-hommes, hostelleries, et lors qu'ils reçoivent quelqu'un chez eux, ils luy font la meilleure chere qu'ils peuvent. Mais leur naturel est si soudain et colere qu'il y naist à toute heure des querelles.
...
Pour le regard de la Bigorre, le peuple y est haut à la main, né aux armes, soudain en ses entreprises, et toutefois dissimulé au possible, peu courtois, farouche et mal plaisant, si ce n'est aux vallées. Au reste, il n'endure pas vraiment une injure et commet des meurtres pour légère occasion. Il est toutefois bon et loyal, et naturellement simple. La noblesse y est gaillarde, sociable, courtoise, bonne et renommée pour sa vaillance.


II. Louis de Froidour est plus sévère
Grand Maître des Eaux et Forêts, il fut chargé par Louis XIV d'inspecter des forêts royales et de remettre de l'ordre en réprimant les abus tels qu'occupation illicite, déboisement non autorisé, vente indue de bois, etc. Froidour, rigoureux, consciencieux, n'était donc pas "personna grata", ce qui explique la sévérité de ses jugements : "Les peuples qui habitent les monts Pirénées sont brutaux, perfides, cruels et nourris parmi les meurtres et les assassinats", ou encore "[ce peuple] est le plus grossier, le plus incapable de discipline".

III. Laboulinière, Secrétaire Général de la Préfecture des Hautes-Pyrénées, est nuancé
"Les habitants des vallées et des montagnes sont en général vifs, laborieux, actifs, sobres et tempérants... Le patriotisme, ou plutôt cet instinct qui attache l'homme au sol qui l'a vu naître, est porté au dernier degré chez les cultivateurs qui ne sont riches que de leur privation et de leur sobriété... Ils aiment leur indépendance".

IV. Ce qu'en pense Joseph-Bertrand Abadie, de Sarrancolin
(Source : Indicateur des Hautes-Pyrénées : 1856)
"Les habitants des Hautes-Pyrénées ont en général des passions vives et promptes : certaines dispositions à l'irascibilité, une imagination ardente, une grande sensibilité, une tendance à l'envie et aux jalousies personnelles, un amour-propre mal placé, un esprit de coterie et un caractère obstiné dont le fond vaut mieux que les apparences".

Les statistiques qu'il cite sont favorables : on compte dans le département 1/11406 habitant accusé dont 18 seront condamnés à des "peines afflictives et infamantes", alors que ces chiffres pour la France entière sont 1/5043 et 34 condamnations. "On le voit, le fond du caractère de l'habitant des Hautes-Pyrénées n'est pas méchant : il est doué d'une certaine fierté qui le porte vers des excès quand on veut le dominer; et il regarde comme une grande atteinte portée à son amour-propre de faire des concessions à son antagoniste..."
Suit un joli portrait des dames : "Les dames, surtout, possèdent le tact exquis de la conversation et savent multiplier les occasions de réunion qu'elles recherchent plus que leur maris. Aimant la société, elles sont flattées des hommages qu'elles y reçoivent, pourvu, bien entendu, qu'ils soient contenus dans les limites de les bornes de la galanterie française".
Les qualités de cœur des Bigourdans sont décrites dans ce paragraphe élogieux :
L'agriculteur dont la grange a été incendiée, le pasteur dont la grange a été emportée par une avalanche ou dont le troupeau a été décimé par un ouragan, le propriétaire dont le champ a été moissonné par la grêle ou balayé par les inondations, les pauvres malades dont les affections nécessitent l'emploi des eaux thermales, l'ouvrier blessé dans l'exercice de son travail : tous ceux-là, dans leurs plaintes trouvent un écho qui leur répond par le soulagement de leurs souffrances.

V. L'avis de A. Abadie dans l'Itinéraire Historique des Hautes-Pyrénées.
"Des mœurs simples et douces firent longtemps le bonheur des montagnards. L'innocence leur tenait lieu de vertus; et l'hospitalité un devoir; mais les visites fréquentes des étrangers ont un peu altéré la pureté de leur mœurs.... Cependant il n'est pas rare de trouver encore, dans des gorges reculées, des hommes qui conservent cette humanité prévenante et désintéressée, ces mœurs patriarcales qui caractérisaient leurs ancêtres... Spirituels, dotés d'une imagination vive, les montagnards donnent un corps aux idées les plus abstraites... Cette imagination vive et amie du merveilleux, les nourrit d'illusions et des traditions les plus fabuleuses : ils abrègent les longues veillées de l'hiver par des contes de sorciers et de loups-garous qui ne rencontrent jamais d'incrédules".

VI. Voilà comment se décrit le Gascon ; sa prétendue "Prière" :



Mais est-ce bien raisonnable ???




Le cas de Centulle de Béarn.
Ses méthodes pour tenter de devenir Comte de Bigorre.

[Source : La Revue des Pyrénées, janvier 1907.]

Une histoire locale invraisemblable
qui s'est réellement déroulée dans la deuxième moitié du XIe siècle.

Le Comte de Béarn parviendra-t-il à annexer le Vicomté de Bigorre ?


Le personnage principal, Centulle V, gouverne le Béarn de 1058 à 1090 ; il passe pour être un seigneur avisé, prudent, cherchant à augmenter son domaine par la diplomatie et par une administration habile plutôt que par la guerre. Contrairement à son prédécesseur surnommé le "grand dominateur de la terre", il est admis comme le "propagateur de la paix", dixit le Pape Grégoire VII et ses sujets. Le bon pape prépare-t-il l'avenir ? Le règne de Centulle V marquerait, dit-on, une rupture dans le bon sens : au lieu de faire la guerre, il légifère, organise, gouverne. Et Jean Froissart, le chroniqueur-grand-reporter que nous avons rencontré dans l'évocation du Château-fort de Mauvezin, en rajoute et déclare à son sujet : "Les Béarnais ont bien raison d'aimer leur Seigneur car il les tient en justice, franchise et liberté, en si grande paix que s'ils fussent en paradis terrestre ". Il y a peut-être du vrai, mais le propos est excessif - l'avenir le confirmera - et semble émaner d'un courtisan.
En fait, Centulle V n'est pas pour autant le parfait vicomte bourgeois et débonnaire. Il est bien représentatif de cette race des seigneurs du lieu au XIe siècle : un assassinat, cela se pratique, l'orgueil et la colère sont monnaies courantes. Gaston Phébus, dans un accès de colère tuera son fils unique et Centulle, plus rude encore, est capable de supprimer un gêneur, sans état d'âme et sans être inquiété. N'a-t-il pas fait couper un bras de son frère cadet parce que leur mère Adalaïs avait favorisé ce dernier en lui donnant le Vicomté de Brulhois. Et non content de cela, il fait entrer son frère au couvent, il sera moine.

ACTE I.
Centulle reçoit du Pape Grégoire VII une lettre en latin dont voici la traduction résumée :
"J'ai entendu dire beaucoup de bien de toi par des personnes de confiance, mais en vain tu aimeras la justice, défendras les pauvres et te feras le champion de la paix si tu persistes à garder ta femme Gisèle qui est ta parente; tu perdras ton âme ainsi que celle de la noble femme qui t'a été confiée. Sépare-toi donc d'elle et pour cela, fais ce que prescriront mon légat, Amat, Évêque d'Oloron, et Bernard, Abbé de Saint-Victor de Marseille ".
Cette lettre est le moyen, sûr, "élégant", officiel, cautionné par la plus haute instance religieuse que le Pape propose à Centulle pour se débarrasser de Gisèle, sa femme. Mais pour quelle cause le Pape intervient-il ainsi ? Ce n'est pas évident.

ACTE II.
Le divorce est prononcé officiellement entre Centulle et Gisèle par les autorités ecclésiastiques. Il aura fallu pour cela des témoins, et quels témoins, pour prétendre que les deux époux ont un trisaïeul commun, ce que Gisèle ne peut infirmer. Elle n'ouvre pas la bouche à l'audition de cette sentence qu'elle ressent comme une injure.

ACTE III.
C'est Amat, Évêque d'Oloron qui préside la cérémonie du divorce. Il termine en faisant signer à Centulle l'acte qui va suivre.
Auparavant, un détail important qui éclairera la suite de la pièce : tous les prêtres officiants qui cosigneront cet acte ont un point commun, ils ont été moines de Cluny, et curieusement le Pape Grégoire VII l'a été également.
Maintenant, voici la teneur de l'acte :
"Je, Centulle, vicomte de Béarn, en pénitence de mes péchés, et particulièrement de celui que j'ai commis en épousant ma parente, donne à Saint-Pierre de Cluny l'église de Sainte-Foi qui se construit à Morlaas et toutes celles que l'on pourra y édifier, avec toutes les offrandes que l'on fait pour le salut des morts et des vivants, avec les prémices [premiers fruits de la terre, on dirait maintenant les "primeurs"] et les dîmes des champs que cultivent ou cultiveront les hommes du Bourg [quartier de Morlas]. Je donne également la dîme de mon revenu de la monnaie [car Centulle V frappe monnaie] et la dîme de celui des fours [fours banaux où les manants faisaient cuire leur pain moyennant une redevance] existants dans le présent et l'avenir; je donne encore ma vigne propre et la dîme de cette vigne et la dîme des champs de Sainte-Foi et de toutes les propriétés de cette église. Enfin, je donne la villa de Morlas, avec toutes ses franchises et avec toutes ses dépendances. Puis, cela fait, je remets dame Gisèle, mon épouse, aux mains de Don Guillaume, Archevêque d'Auch, et de Don Amat, Évêque d'Oloron, qui la conduiront au monastère de Cluny où elle doit prendre l'habit religieux".

C'est simple, Centulle se débarrasse de sa femme qu'il confie aux moines de Cluny en échange de biens matériels convoités par le monastère de Cluny. C'est le prix à payer et tout le monde est content de ce marché, sauf deux personnes : Gisèle, évidemment, qui se retrouve bonne sœur contre son gré et Gaston dont on n'a pas encore parlé, mais qui jouera un rôle important plus tard ; il est le fils unique de ce ménage et est alors âgé de 18 ans. Pour l'instant, il est furieux que sa mère soit ainsi répudiée.

Soulevons discrètement une partie du voile, tâchons de savoir les raisons cachées qui font agir ainsi ces acteurs.
Peut-on invoquer une quelconque "raison d'état" qui serait susceptible de justifier un peu une telle conduite ?
En fait, voici la situation : le comte de Bigorre vient de mourir, il faut vite épouser son héritière et Centulle V est le mari tout désigné compte tenu de ce qui vient de se passer.

Mais ...

ACTE IV.
La nouvelle du futur mariage de Centulle commence à être connue, quand Bernard, l'Évêque de Lescar, soudain illuminé par l'Esprit Saint, comprend tout : Centulle V a trompé tout le monde avec cette invraisemblable histoire de parenté qui entraîna ce divorce. Tant de prélats se sont réunis placidement sur la foi de faux témoignages et ont fait rompre un mariage légitime. En fait, ses collègues clunisiens sortent enrichis par ce marché, tandis que lui, à Lescar, est appauvri et il n'est pas riche. Il n'encaissera plus les revenus des églises de Morlas. Aussi, il n'est pas gêné de dévoiler cette "affaire", dirait-on aujourd'hui, il n'a rien à perdre.
Bernard proclame haut et court qu'il n'y a point de divorce et que Gisèle est et restera la femme de Centulle V. Il refuse de procéder à la nouvelle bénédiction nuptiale et ose même prononcer l'interdit contre Centulle V, son Seigneur. Centulle, furieux, fait empoigner Bernard qui, pour échapper à Centulle, s'était réfugié au monastère de Saint-Pé par crainte de représailles. Il exile l'abbé qui se retranche, semble-t-il, auprès de l'abbé de Saint-Victor à Marseille. Il mourra à Fréjus l'année suivante en 1080.
Dieu sait comment, après ces démêlés qui ont défrayé la chronique, Centulle est toujours en bons termes avec l'Évêque d'Auch. Et ce dernier accepte de le marier avec l'héritière de Bigorre, mais à une condition : le monastère de Saint-Pé appartenant au diocèse de Béarn deviendra la propriété du diocèse de Bigorre.
Accord conclu, le mariage aura lieu.

ACTE V.
Mais qui est l'héritière de Bigorre ?
Une enfant de 13 ans, Béatrix, ... que Centulle épouse. Il a déjà, de son premier mariage avec Gisèle, un fils, Gaston, alors âgé de 18 ans.
Un détail pour donner une idée de l'ambiance qui règne : des tractations sordides ont lieu avec l'abbé de Marseille qui avait apporté son aide pour le divorce. Il réclame sa petite compensation : rattachement au monastère de Saint-Victor à Marseille de l'abbaye de Saint-Savin en Lavedan, puis de celle de Saint-Sever de Rustan.
Béatrix a un fils, et cela pose un problème : qui héritera du Comté de Bigorre et du Vicomté de Béarn ? Le fils de Béatrix, ou Gaston qui, adulte ou presque, est en droit de réclamer ces territoires comme apanage (compensation due à l'aîné s'il ne règne pas). Centulle refuse de céder un territoire par enfant, car son rêve avait toujours été le cumul indivisible. Gaston écœuré par le comportement de son père s'est réfugié en Espagne quand le divorce a été prononcé. Pourquoi en Espagne, plus précisément en Aragon ? Réponses des historiens :
- Le Béarn possède des terres, la vallée de Tena, en Aragon concédées au roi d'Aragon, suzerain. Ce dernier sans doute prenant fait et cause pour Gaston envahit la Bigorre en 1081.
- Un traité de paix met fin à cette invasion aux termes duquel Le roi d'Aragon jure protection et à Centulle et à Gaston, déniant ainsi toute supériorité du père par rapport à Gaston.
- Gaston épouse en 1085 la fille d'un bâtard d'Aragon ce qui renforce sa position et inquiète Centulle.
- Centulle se rendant en Aragon, précisément dans son fief qu'est la vallée de Tena, est assassiné par son hôte et vassal, un certain Garcia, ou peut-être même par Gaston en personne. Son escorte est anéantie. Ainsi l'hypothèse vraisemblable est que Garcia a trahi Centulle poussé par Gaston qui vengeait ainsi sa mère, son oncle de Brulhois au bras coupé et Bernard, l'Évêque de Lescar qui avait dénoncé le scandale ce qui lui avait valu l'exil.

La pièce se termine plutôt bien : Gaston devient Vicomte de Béarn, le fils de Béatrix sera Comte de Bigorre sous la tutelle de sa mère.

Rideau.

Une histoire du même genre dont Jean V d'Armagnac et sa sœur sont les acteurs principaux est relatée par ailleurs, voir "Un vrai feuilleton..."

Ce que Dieu, qui voit tout, doit s'amuser !
Jules Renard


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