Un vrai feuilleton :

où le Comte Jean V d'Armagnac, sa sœur Isabelle d'Armagnac,
un certain Jouffroy, Évêque d'Arras et avocat, les Papes régnants,
deux Rois de France, Charles VI et Louis XI
sont les acteurs ou les témoins d'une histoire rocambolesque.


[Ce récit est tiré des articles de la Revue des Hautes-Pyrénées publiés en 1907, intitulés : Isabelle d'Armagnac, Dame des Quatre-Vallées de Ch. Samaran, du Guide des Pyrénées mystérieuses de Bernard Duhourcau, Tchou Ed. 1973, et de l'ouvrage Gloires de Gascogne de Robert Castagnon qui peut être consulté sur Internet. Voir Bibliographie sommaire et liens Internet dans le Menu Principal.]

Le Dr Sarramon dans son livre sur les Quatre Vallées cité plus haut traite Jean V, Comte d'Armagnac, dernier Seigneur des Quatre Vallées, d' "horrible Seigneur". Michelet n'est guère plus indulgent : "fils du diable", voilà comment il l'évoque.


Mais que s'est-il passé au juste tout près de Galan en ce Moyen-Âge finissant ?
L'histoire mérite un détour.


Quels sont les principaux personnages en scène ?

Le Comte Jean IV d'Armagnac a épousé Isabelle de Navarre fille de Charles III le Noble, roi de Navarre. De cette union naissent cinq enfants légitimes : Jean V guerroie alors en Normandie où le Roi a apprécié sa fougue sur les champs de bataille. Il revient en Gascogne, il a 30 ans, n'est pas marié, ce qui est étonnant surtout à cet âge, car à cette époque où on ne vit pas vieux, les parents décident souvent du mariage de leurs enfants. Les chroniqueurs de l'époque le décrivent ainsi : "Le feu coulait dans ses veines. Il était aussi violent dans ses désirs qu'impérieux dans ses actions. Son aspect physique n'était pas séduisant : petite taille, trapu et même bedonnant, mais doué d'une grande force corporelle. Il avait le cou enfoncé, surmonté d'un visage bourgeonné avec des yeux bigles et le tout couronné par une tignasse rousse". Les Armagnac ont toujours été une race de guerriers aux réactions tumultueuses et à la tête un peu folle, et Jean V n'échappait pas à cette règle : le feu coulait dans ses veines et il était violent dans ses désirs, ce que le récit qui va suivre confirmera.
Donc, Jean V se retrouve à Lectoure avec sa sœur qui a 10 ans de moins que lui et qui, si on en croit le chroniqueur Mathieu d'Escouchy, "était pour ces tems une des plus belles femmes du royaulme de France". Mais, dit-on, "si la beauté lui avait été largement dispensée, elle avait la tête un peu faible"...
Point de parents attentifs, de conseillers, de maîtres pour mettre en garde ces deux jeunes vivant seuls sous le même toit. Des familiarités banales, innocentes dégénèrent en privautés coupables et... en relations incestueuses, cela au su de tous. On va jusqu'à dire que les murs du château ne sont pas assez épais pour étouffer les cris des deux enfants qui sont nés secrètement du "crime du frère et de la sœur". On prétend même que ces cris parviennent jusqu'aux oreilles du Roi, ce dont il est fort courroucé "pource que c'est grand tort contre la Sainte Foy et pource que le dit Comte descend de couronne royale".

Un certain Jean Jouffroy, Évêque d'Arras  –  nous le retrouverons comme avocat plaidant la cause de Jean V en 1460 auprès du Pape Pie II  –  argumenta ainsi :

"Que voulez-vous, chez un jeune homme et une jeune femme ensemble,
la conversation devient amour et l'amour devient flammes 
".

Action :

Jean V songe sérieusement à épouser Isabelle. Des hommes de loi, des théologiens sont consultés et concluent qu'il faut obtenir une dispense du Pape Nicolas V. On en fait la demande, mais le "ménage" a déjà deux enfants. La réponse du Pape est nette : excommunication pure et simple.
L'affaire commence à se savoir dans tout le pays, le Roi Charles VII qui est au courant est furieux. Il dépêche auprès du Comte un de ses représentants de confiance avec mission de le convaincre de revenir à de meilleurs sentiments, de lui faire des remontrances sur sa faute. Il lui offre d'intercéder éventuellement auprès du Pape pour obtenir le pardon, mais le menace de toute son ire "auquel cas il se vouloit persister dans son abominable erreur".
Le coupable feint de se soumettre aux volontés du Roi, promet de modifier sa conduite et le Pape Nicolas V qui l'avait excommunié, fort de cette promesse, consent à l'absoudre. Il avait été convaincu par un habile juriste envoyé par Charles VII que le frère et la sœur avaient agi dans "l'inconscience de la jeunesse".
Jean V attend quelques mois, fait courir le bruit qu'il détient la dispense du Pape, fait célébrer son mariage officiel avec Isabelle par un curé qu'il réussit à circonvenir en le menaçant de le jeter dans la Loire s'il n'obtempère pa��
Puis Isabelle a un troisième enfant.
Le Pape, apprenant cela, fulmine contre le "couple" et prononce à leur égard une excommunication majeure. Charles VII, furieux lui aussi, va tenter une nouvelle démarche : il envoie à Lectoure deux des plus proches parents de Jean V, son oncle Bernard de Pardiac, Comte de la Marche et sa grand'tante Anne, Comtesse d'Albret, femme de Charles II. En vain. Jean V reçoit fort mal les messagers, ne veut rien entendre et va même jusqu'à menacer son oncle de sa dague. Jean V ne s'en tient pas là, il interdit à Philippe de Levis, nommé par le Roi avec l'assentiment de Rome, d'entrer en possession du siège épiscopal d'Auch devenu vaquant et tente de faire élire par le chapitre métropolitain un bâtard de son défunt père à ce poste.
C'est de la provocation. De tels agissements de Jean V font craindre qu'il est atteint de folie. Charles VII estime que l'emploi de la force semble inéluctable.
En mai 1455, le Roi lève deux fortes armées commandées par d'illustres vétérans des guerres contre les anglais, l'une par Antoine de Chabanne et Xaintrailles, l'autre par le Comte de Clermont et le Maréchal de Lohéac ; elles ont pour mission d'envahir les domaines du Comte d'Armagnac. Elles passent la Loire en mai 1455, l'une se dirige vers le Rouergue, l'autre vers la Gascogne. Jean V qui ne s'attendait pas à une telle riposte du Roi envoie un de ses fidèles, Bégon, Seigneur d'Embeyrac, auprès du Roi Charles VII pour tenter d'apaiser sa colère. Le Roi et son Conseil, inflexibles, restent sur leurs positions. Le 17 juin le Roi, par écrit, confie sa réponse : il réclame Isabelle pour la faire surveiller et exige de son frère une obéissance absolue. Si ces conditions sont acceptées et exécutées, on envisagera alors de faire au Comte "bonne justice".
En fait, cette démarche de Jean V d'envoyer un émissaire auprès du Roi n'a d'autre but que de gagner du temps. En effet, alors que Bégon est encore à la Cour, son maître prudemment se réfugie dans la Vallée d'Aure en lieu sûr ; car de là il peut en quelques heures franchir la frontière espagnole. De son côté, Isabelle par Saint-Girons et le Couserans, d'autres chroniqueurs disent par le Val d'Aran, atteint le Comté de Palhars à la limite de la Catalogne et de l'Aragon puis élit domicile à Valence, la capitale de cette Seigneurie. Jean V s'installe à Sarrancolin où il s'efforce avec l'appui des montagnards d'organiser la résistance au pouvoir royal. Mais les armées royales triomphent vite : le Rouergue est occupé facilement, quant au Maréchal de Lohéac, il maîtrise en quelques semaines toutes les places relevant du comte d'Armagnac. Seule Lectoure ne se rend qu'après trois jours de combat. Jean V, repoussé jusque dans ses montagnes par l'armée du Roi se réfugie en Aragon chez son oncle maternel Jean II d'Aragon. Celui-ci lui conseille de faire une nouvelle démarche auprès de la Cour de Rome. En effet, le Pape Nicolas V, décédé, est remplacé par Callixe III, une chance, car, obstiné, Jean V n'abandonne pas du tout l'espoir d'obtenir du Pape la dispense régularisant son mariage incestueux. Pendant les quatre ou cinq années qui séparent la fuite de Jean V de la mort de Charles VII, non content d'entretenir des relations épistolaires quelquefois compromettantes avec sa sœur - il écrit ses lettres en gascon qu'il commence toutes par la mia costa - met tout en œuvre pour faire aboutir les démarches en Cour de Rome auprès du nouveau Pape. C'est là l'occasion d'intervenir auprès de lui pour obtenir son pardon. Des messagers sûrs vont le précéder avec la mission d'obtenir pour lui une audience auprès du nouveau Saint-Père.

Alors l'histoire se corse.

Le Pape Pie II successeur de Callixe III relate dans ses Commentaires - ses mémoires - ce qui s'est passé alors à Rome : "Il y avait à la Cour de Rome un certain Évêque, Antoine d'Alet, du Diocèse de Cambrai, Conseiller Référendaire, personnage faux, dissimulé, prêt à tous les mensonges, au discours habile, d'allure élégante, de conversation agréable, prompt à la dépense, âpre au gain. Il dépense, gaspille en compagnie de courtisanes et ne recule, pour se procurer de l'argent, ni devant le mensonge, ni devant le parjure. Mais il cache ses vices avec un art merveilleux, et, mentant de mille manières, sait paraître véridique, franc, vertueux même". C'est Pie II qui le nous décrit ainsi. Il est le fils du premier Président du Parlement de Paris, Adam de Cambrai. Après des études commencées en 1444 au Collège de Navarre, il est reçu Maître en cette Faculté, fait son droit à Orléans, mais il est bientôt inculpé dans une affaire de meurtre et est obligé de quitter la France. Après un séjour en Dauphiné, il gagne l'Italie et, fort de sa connaissance des affaires et de la confiance qu'il sait inspirer, se fait nommer Conseiller Référendaire - on dirait maintenant Magistrat - en Cour de Rome.
De par sa position, il est au courant des démarches du Comte d'Armagnac et va s'empresser de lui proposer ses services. "Un pigeon à plumer" dira Pie II. Calixte III, le Pape régnant, est pressenti, il a quelques scrupules, mais, fort heureusement, tombe malade et ne suit plus de près les affaires courantes. C'est là une aubaine pour Antoine d'Alet qui en profite pour corrompre Rodrigue Borgia, le propre neveu du Pape, ainsi qu'un scribe ayant le titre de "Notaire Apostolique", Giovan Volterra ou de Volterra. Ce dernier rédige une dispense au quatrième degré qu'il transforme aussitôt, grâce à un habile grattage, en une dispense au premier degré, dispense que l'Évêque d'Alet garde par-devers lui. Cette dispense autorise le mariage contre le versement de 24.000 écus d'or destinés aux deux aigrefins. Jean V leur fait une avance du tiers de cette somme, d'autres disent de la moitié en deux versements, mais il ne réussit pas à obtenir le précieux document, même en promettant de verser le reliquat à bref délai.
Calixe III meurt en 1458, c'est Pie II qui le remplace. Peu après, le scandale éclate et le Pape mande le Référendaire Bérard, Évêque de Spolène, de rechercher la bulle suspecte dans les registres du pontificat précédent. Évidemment, on ne retrouve pas la bulle et le 18 novembre 1459 le Pape confie à Pierre de Foix, son légat d'Avignon, la mission de prendre toutes les mesures nécessaires pour faire cesser la honteuse conduite du Comte d'Armagnac, il suggère même l'intervention éventuelle du Roi de France. Rodrigue Borgia est arrêté et emprisonné, Volterra est livré au bras séculier. Le Comte d'Alet, flairant le danger, prend la fuite. On le retrouve à Corbeil, à cheval, assisté de deux valets, traverse l'Oise dans laquelle un des valets se noie, gagne la Flandre, la Bourgogne, puis Louvain et se dirige vers les Alpes sous un nom d'emprunt : le Seigneur de Fusterouau.
En janvier ou février 1460 il est reçu à Turin par le Duc de Savoie, continue son périple vers Rome où il arrive en mai. Là, il apprend de la bouche d'Ambroise de Cambrai, l'entremetteur, que la fameuse et précieuse bulle de dispense est à Florence mais qu'elle ne lui sera remise que contre la somme de 4.000 écus. Indignation, plaintes de Jean V. Il va voir le Pape pour réclamer justice. On devine quel peut être l'accueil du Pape ! Mais curieusement le Comte est tellement convaincu de son bon droit qu'il argumente énergiquement et efficacement : il a vu de ses yeux cette bulle de dispense, elle existe. Dans ces conditions, l'Evêque d'Alet, propre et proche collaborateur du Pape et qui a négocié l'affaire, ne serait donc pas digne de foi ? C'est impensable. Une enquête est prescrite. L'évêque d'Alet est dans ses petits souliers, il se fourvoie, n'arrive pas à enterrer l'affaire. Il est accusé de simonie (profit illicite qui consiste à monnayer un bien spirituel, ici la dispense), parjure, faux, adultère, inceste, homicide, trahison et sacrilège. Il se retrouve emprisonné au couvent de Monte Oliveto en Toscane, et les complices sont déchus de leur fonction et livrés au bras séculier. Mais pour autant, la position du Comte n'est pas enviable : il est convoqué par le Pape devant le consistoire, l'assemblée des Cardinaux, avec le conseil de se montrer humble pour obtenir un pardon. "Choisis, lui dit le Pape, entre le pardon et la punition de tous tes crimes". Le Comte demande huit jours de réflexion, après quoi il se présente le jour dit avec son avocat Jean Jouffroy, évêque d'Arras.
Étonnante situation : nous sommes en 1460, ce même évêque-avocat commandera l'armée royale chargée d'attaquer Lectoure en 1473.
Et comment concevoir qu'un évêque accepte de défendre une telle cause ? Voyons comment ce dernier s'y prend-il.

"Vous voyez en mon client, la victime d'une passion excitée par les mauvais conseils et rendue presque inéluctable par la pauvreté. Mais les dieux antiques n'ont-ils pas succombé à la passion ? Jupiter ne s'est-il pas uni à sa sœur ? Et, si nous lisons l'Ancien Testament, que d'exemples ! Nos premiers parents n'ont-ils pas consacré l'inceste de leurs enfants ? Amnon n'a-t-il pas fait violence à sa sœur Thamar ? Faut-il s'étonner qu'un Dieu soit plus fort qu'un homme ? Le Comte d'Armagnac a été vaincu par l'Amour-Dieu. Il avoue sa faute. Le voilà suppliant, invoquant à genoux votre pardon et votre miséricorde."

Mais Pie II se place dans un tout autre registre.
Voici comment il répond à l'évêque-avocat : "Évêque d'Arras, tu voudrais faire passer pour insignifiant un grand crime, et, à l'aide d'exemples empruntés aux Gentils, excuser l'inceste lui-même. Tant tu as confiance en ton éloquence ! Mais toi, qui es Évêque, ne devrais-tu pas t'inspirer de l'histoire de l'Église plutôt que de celle des Gentils ? N'as-tu pas honte de donner le nom de dieux à ceux que nos aînés ont appelés scélérats ou démons ? Quoi d'étonnant si les démons approuvent les péchés dont ils se servent pour entraîner les hommes à tous les crimes ? Pour nous, nous nous en tenons aux lois sacrées et aux institutions des saints. Les Constitutions des Empereurs et les rescrits [décrets de la plus haute autorité] des Princes déclarent les incestueux infâmes, détestables et dignes du dernier supplice. L'Église est plus douce, si l'on puit dire ; elle ne veut pas la mort du pécheur; elle veut qu'il vive pour se convertir. Et pourtant, la punition qu'elle inflige est sévère. Zacharie a ordonné que l'incestueux fit un pèlerinage annuel quatorze années de suite, portant pendant sept ans un cercle de fer du poids de sept livres suspendu au cou ou au bras. Il devait jeûner trois fois par semaine, manger de la viande et boire du vin le dimanche seulement. Les sept années écoulées, il lui était permis de déposer le collier et de cesser le jeûne, les vendredis exceptés, mais ce n'est qu'au bout de quatorze années qu'il était de nouveau admis à la communion."

Jean V se jette aux pieds du Souverain Pontife pour obtenir son pardon. Le Pape poursuit, se tournant alors vers lui : "Pour toi, Mon fils, nous rendons grâce à Dieu qui a rouvert tes yeux à la lumière et t'a fait rentrer dans la voie du salut. Nous louons ton humilité lorsque, implorant ton pardon, tu es venu de ton propre mouvement te soumettre à la pénitence. Pour trois raisons nous agirons à ton égard avec douceur :d'abord, parce que tu es noble et que le souvenir de tes ancêtres nous porte à te traiter avec plus d'indulgence, ensuite parce que tu fus trompé par les promesses de ceux qui te firent espérer la dispense, enfin, parce que, privé de l'héritage paternel et chassé de ta maison par le jugement de Dieu, tu as déjà subi une partie du châtiment. C'est pourquoi au nom de Dieu tout-puissant dont ton péché offensa la majesté et dont ton repentir implore la miséricorde, nous t'enjoignons de ne plus jamais adresser la parole à ta sœur que tu as souillée par l'inceste, de ne lui envoyer ni lettres ni messages, de ne jamais te trouver au même lieu qu'elle, et de promettre ces choses sous la foi du serment. Bien plus, dès que cela te sera possible, prends les armes contre les Turcs, et, une année entière, combats pour la foi avec au moins cinquante lances. Enfin consacre cinq mille écus d'or à la réparation des églises et à la dot des jeunes filles pauvres. Pour ce qui est des autres pénitences, notre cher fils Bérard, Évêque de Spolète, te les infligeras. Accepte-les sans murmure et accomplis-les religieusement ".

Simultanément, le 13 mai 1460, sur saisine royale, un arrêt solennel du Parlement de Paris le condamne par contumace au bannissement perpétuel et à la confiscation de tous ses biens. Dans ces conditions, Jean V ne peut plus rentrer en France. Il fait divers voyages et apprend que le Pape Pie II implore pour lui la grâce du Roi de France. Mais le Roi est demeuré inflexible.
Une année passe. Jean V se tourne vers sa famille d'Aragon qui lui offre l'hospitalité ; il s'embarque sur une galère florentine, destination Barcelone où, le 18 mai 1461, il est reçu en grande pompe par son cousin germain Don Carlos, Prince de Viana, avec trompettes, ménétriers, tambours. Il est conduit en grande solennité jusqu'à sa demeure. Une foule nombreuse est venue par curiosité voir ce personnage dont l'histoire court de bouche en bouche. Sa sœur qui résidait alors dans un couvent de la ville est partie précipitamment apprenant l'arrivée de son frère, car elle se conforme à la sentence papale. Cet appui permet à Jean V de résider en toute tranquillité dans la région, défrayé de ses dépenses, protégé par la garde de routiers Aragonais et Navarrais d'Aïnsa. Il partage son temps entre Aïnsa (Voir Promenade/Espagne) et Barcelone, prêt à se fixer dans ses domaines Aurois tout proches.
Il n'a pas longtemps à attendre : Charles VII meurt en juillet 1461, le Dauphin, futur Louis XI, accède au trône. C'est une aubaine pour Jean V car ils se trouvent être compagnons de guerre. Alors, le pardon est accordé, et ses titres et biens sont restitués. Il rentre en France, suivi sans doute par sa sœur et se retrouve à la tête de ses Seigneuries.


Dernier acte : la triste fin d'Isabelle.

L'année suivante Isabelle reçoit de son "mari-frère" la jouissance des quatre petites Seigneuries dites de Quatre-Vallées (Aure, Neste, Barousse et Magnoac) sous condition formelle qu'elle ne se (re)marie pas ou entre en religion.
Mais Louis XI, qui aurait pu attendre quelque reconnissance de son protégé, apprend que Jean V, incorrigible, complote avec les grands du royaume contre son protecteur, sous prétexte de poursuivre la politique centralisatrice de son père... Mais abandonnons le parcours de Jean V pour revenir à Isabelle.
Après avoir séjourné au prieuré de Sarrancolin et à La Barthe de Neste, elle s'installe à Castelnau-Magnoac où elle vit dans la pauvreté et la dévotion, la bigoterie même, qu'elle juge nécessaire pour préserver son âme pécheresse du châtiment éternel. Elle élève les trois enfants qu'elle a eu de son frère, les désignant comme ses neveux et nièces. Le sort s'acharne : elle devient paralysée, elle mourra avant le 4 août 1476 à 45 ans.
Mais deux ans avant sa mort, elle fait un long testament assorti de 4 codicilles datés de l'année suivante précisant – en latin –  une foule de légataires qui recoivent des miettes d'héritage. Parmi les héritiers qui sont plus de cinquante, figurent ses enfants. Elle vit dans la misère, mais elle possède encore quelques terres qui tentent beaucoup un certain Gaston de Lyon, Seigneur de Bezaudun, sénéchal de Toulouse, surnommé "Gastounet". Tandis qu'Isabelle dispense sa "fortune" à des œuvres, à des couvents, elle est harcelée par Gastounet et sa femme, qui profitant de son extrême faiblesse - elle est maintenant atteinte d'hémiplégie - , transportent de nuit Isabelle à La Barthe de Neste devant le Trésorier de la Baronnie où ils se font instituer légataires universel moyennant un apport en espèces de 12.000 livres qui ne seront jamais payées. Isabelle devra même hypothéquer son livre d'heures et ses vêtements pour survivre. Et Gastounet réitère : il arrache à la malheureuse un acte de vente des Quatre-Vallées contre 5.127 écus d'or payables à la signature. En réalité Gastounet ne débourse pas un seul écu, retardant sans cesse le paiement, car il escompte une fin prochaine d'Isabelle. "Lou Gastounet que m'a trumpado, dit-elle,... il a juré sur le Missel qu'il me restituerait ce titre après l'avoir montré au Roi, mais je crains fort qu'il ne me le rende jamais". Effectivement.
Mais cette fin d'Isabelle tarde, et ses plaintes commencent à émouvoir en haut-lieu... Alors, feignant de s'émouvoir de son sort, le 4 août 1476, Gastounet fait venir de Toulouse le Docteur en Médecine au nom prédestiné de Pierre Mignon qualifié de "grand artiste" avec la mission d'accélérer les choses. On lui prête ce commentaire : "Que faire ? Si je la tue, je damne mon âme; si je ne la tue pas, on me voudra du mal pour toujours ". Suit l'ingurgitation par Isabelle d'un hypocras* qui a pour effet de lui brûler littéralement les intestins. "Si on lui ouvre le ventre, dit le médecin Mignon lorsqu'elle fut morte, on trouve ses boyaux cuits et bouillis comme tripe d'oie qu'on a fait frire dans une poêle". Le 4 août 1476,

Isabelle meurt dans d'atroces souffrance. Elle vient d'avoir 45 ans. Sa Dame de compagnie, Raymonde de Beaumont, dira sur la foi du serment : "Hé a abiat doant ung hypocras que la habia crémat soun budetz", "Il lui avait donné un hypocras qui lui a brûlé les intestins ". Huit jours après le décès, on voit arriver en grande pompe à l'église de Castelnau-Magnoac la femme de Gastounet, Vicomtesse de Lavedan, qui occupe la place qu'Isabelle avait coutume d'occuper pendant la messe, cette Isabelle qui aurait pu être Reine d'Angleterre...
Mais les habitants, choqués par tant de vilainies, sont révoltés. Les Ducs d'Alençon et de Vendôme, parents d'Isabelle, font un procès à Gastounet et à sa femme pour les empêcher de s'approprier les Quatre-Vallées. Après un siècle de procédures, les descendants, ruinés et découragés vendent l'usufruit à Henri IV et le domaine est rattaché à la couronne de France en même temps que le Duché d'Armagnac.

Quant à Jean V, après maintes péripéties invraisemblables, il succombera lors de la prise de Lectoure sous les coups d'un archer français du nom de Pierre de Gorgias : par deux fois il lui perce le cœur avec un poignard, tandis qu'un franc-archer lui fracasse le crâne avec une hache d'arme. Il expire en murmurant le nom de la vierge. Pierre de Gorgias reçut comme récompense de son crime un gobelet rempli d'écus d'or. Après bien des avatars, le Comté d'Armagnac échut à la Maison d'Albret, puis à Henri de Navarre, futur Henri IV qui le joignit à la couronne de France en 1607.
Qu'est devenu Gastounet, qu'advint-il des Quatre-Vallées, comment les habitants prirent-ils la chose ? Le dernier Armagnac est mort, certes, mais les choses n'ont pas été simples. De nombreuses aventures inimaginables restent à conter encore...

Mais, pour l'instant, tournons cette triste page.

Rideau.

* Liqueur d'apothicaire de composition non révélée. Dictionnaire de Roland, 1812.

La suite édifiante et passionnante de ce récit peut être lue dans l'ouvrage de Robert Castagnon auteur de "Gloires de Gascogne", éd. Loubatières dont des extraits peuvent être consultés sur Internet. (Voir Bibliographie sommaire et liens Internet dans le Menu Principal).


Il y a des bêtises que j'ai faites, uniquement pour avoir le plaisir de les raconter.
Sacha Guitry


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