Le retour d'estive
La fête d'une coutume : la transhumance

Qué é béroÏ !
Le voilà, fidèle à la tradition :
Ernest Borel dans ses œuvres.

La transhumance était courante au siècle dernier. Hélas, aujourd'hui elle figure dans le chapitre des anciennes traditions, mais un Galanais la pratique avec fierté, c'est Ernest Borel du quartier de Caseneuve. Il m'a raconté en détails et avec passion comment cela se déroule.
Évidemment et officiellement, c'est d'abord la santé des moutons qui est en cause; mais la transhumance, c'est aussi une occasion de fêtes, de se retrouver entre amis. Le principe est le suivant : le troupeau est confié à un berger-chef qui en est responsable pendant 4 mois. Le contrat est verbal, le prix sera fixé à la descente, "au retour d'estive", prix qui tiendra compte du nombre et de l'état des bêtes.
Tout commence un certain samedi précédant la Pentecôte. Ernest conduit par camion ses 35 moutons ou brebis à Gazave près de La Barthe-de-Neste où d'autres éleveurs du coin se donnent rendez-vous. Le dimanche est réservé à un bon déjeuner, après quoi on s'affaire à déguiser les moutons, de pompons aux cornes, de clochettes et d'oules qui sont des sortes de cloches informes sonnant dans le grave. On marque les bêtes à la peinture : un "E" comme Estansan leur futur lieu de résidence d'"estive" sur la fesse droite, "BO" pour Borel sur la gauche, plus une petite décoration, coquetterie de l'éleveur, ici un trèfle à 4 feuilles. On est prêt pour faire 48 kilomètres le lendemain. Au départ la troupe de 700 à 800 moutons est annoncée par une voiture avec gyrophare et le panneau "Transhumance". Le berger-chef accompagné de deux bergers est en tête du troupeau, tandis qu'une quarantaine de bénévoles veillent à ce que le troupeau n'occupe que la moitié de la route.
Le lundi de Pentecôte, départ à 6h½ et c'est la parade : le cortège part à pied; la foule les applaudira tout le long du parcours, peut-être exagère-t-il un peu ! Mais non, pas du tout, rétorque-t-il. Première halte d'une heure à Sarrancolin, histoire de faire se reposer les moutons et boire un coup, peut-être manger un morceau vite fait. A chaque halte, le troupeau s'accroît. On arrive à Arreau vers midi, même programme. Nouvelle halte à Vielle-Aure dans l'après-midi où le troupeau va être béni par le curé.
À Estansan, le retour vers la plaine,
C'est fini, la liberté.
Pas mal, le paysage. Ils ont de la chance, ces moutons !
Je demande à Ernest s'il a ressenti les bienfaits de la bénédiction, car il n'affiche tout de même pas qu'il fait partie intégrante du troupeau, quoique... Pas de réponse, il ne s'était pas posé la question, il ne sait pas. Seuls les moutons comptent. La journée se termine à proximité, les bêtes sont parquées dans un pré du chef-berger. À nouveau, petites agapes où tous les bénévoles sont invités. Le mardi départ à 8h30 pour la destination finale, Estensan, après avoir enlevé les cloches, les pompons, mis en lieu sûr pour le retour; le spectacle est terminé faute de public en altitude. Le chef-berger, responsable, en profite pour examiner ses pensionnaires. Y a-t-il des malades ? Il repère vite celles qui ne mangent pas ou qui boitent. Départ vers Estansan, trois heures de marche pour arriver à la résidence d'été au lieu-dit "Consatère". Là, le chef-berger a sa cabane qu'il habitera à plein temps les 15 premiers jours. Il ne viendra ensuite que 2 jours par semaine au week-end ou plus s'il le juge utile pour surveiller le troupeau, éventuellement soigner les malades et, chose importante, donner la petite gâterie hebdomadaire du dimanche soir : du sel sur les rochers, les bêtes en raffolent. Certains propriétaires vont voir sur place comment cela se passe, notre Galanais ne manquerait pas ce rendez-vous rassurant une fois par semaine, le dimanche. Le retour se fait traditionnellement le 3 ou le 4 octobre, et c'est encore la fête tout au long du trajet.
Le retour à Galan.
Pas peu fier, Ernest !
Ernest entrera avec son troupeau et ses amis montagnards qui l'accompagnent dans Galan, il seront applaudis tout au long de la traversée du village. Halte devant la Mairie : les nombreux curieux viennent admirer le troupeau joliment pomponné et écouter Ernest et ses amis bergers chanter les chants traditionnels. Une vraie cérémonie laïque, à laquelle le curé ne manque pas d'assister. On ressent émotion et ferveur de tout ce monde fier de cette tradition. Même les moutons se taisent; les Galanais applaudissent, gagnés et conquis par cette ambiance de sérieux bon enfant où tous s'accordent et où chacun mesure l'importance de l'instant. Un apéritif où les Galanais sont invités clôture le retour d'estive.
Mais pour Ernest et ses amis, la fête continue. Les personnes qui ont aidé, les épouses se rendent dans la petite baraque de Sancan où logent ses moutons. Ernest m'assure qu'ils se reconnaissent bien là, ils se retrouvent chez eux. Le matin les voisins auront meublé la bergerie de planches et de bancs pour le repas, préparé les hors d'œuvres, Sébas, le neveu, "coupeur" de métier, aura dépecé le mouton que des bonnes volontés compétentes feront griller à la braise de ceps de vigne. Le "bourret", vin nouveau encore légèrement pétillant, sera à l'honneur, certains le découvrent et le jugent : "celui-là, au moins il n'est pas trafiqué", suprême éloge ! D'admirables "Merveilles" clôturent le repas, Ernest vient me confier, tout fier : "c'est Madame la Mairesse qui me les a faites" (voir Les "Merveilles" d'une Galanaise, mais ce ne sont que ses gâteaux !).
Il faut avoir côtoyé Ernest, homme passionné qui fait partager sa passion, un personnage original, aux remarques imprévues et pertinentes, désintéressé, animé du feu sacré pour perpétuer ce rite.

Oiseau Retour au menu "Fêtes, réunions, et manifestations traditionnelles.",
ou cliquez ICI pour un tout autre sujet (menu principal).