L'indicateur des Hautes-Pyrénées
par Joseph-Bertrand Abadie, de Sarrancolin. 1856.

Voici comment l'auteur décrit sa méthode de travail :
"Après avoir minutieusement parcouru le département de commune en commune et visité dans chacune d'elles la plupart des personnes notables, auxquelles je dois ici de chaleureux remerciements pour leur bienveillant accueil et leurs généreuses communications, j'ai fouillé les vieilles paperasses de nos archives centrales et de nos bibliothèques, compulsé les histoires anciennes, consulté les nouvelles, frappé à la porte de toutes les administrations et ensuite rassemblé ces nombreux documents que j'ai fondus en un seul volume"
...
"Libre et indépendant, j'ai pu dire la vérité, signaler les abus, les travers, les vices de la société de ce département, faire connaître à l'autorité administrative les améliorations susceptibles d'être prises en considération; écrire mes remarques et mes idées, toujours dominées par un sentiment moral et religieux, abnégation jamais faite de la dignité du citoyen, mais sans perdre de vue un instant que cet ouvrage ne pouvait renfermer que de simples indications sur le passé, le présent, et l'avenir du département en général et de chaque commune en particulier".


Effectivement, nous avons là une excellente photographie de la vie locale sous le Second Empire. De nombreux emprunts de cet ouvrage ont été utilisés dans le chapitre Les Galanais autrefois, Portraits, aussi je me contenterai rapide d'un survol avec des poses sur les sujets non encore évoqués.

La partie historique.
Quatre-vingt pages où l'on apprend que les Galanais étaient des Onobuzates, qui en dépit de cette appellation peu harmonieuse, même un peu barbare, étaient, comme d'ailleurs d'autres peuplades d'Aquitaine, bourrées de qualités : "Nul ne pouvait prétendre à s'élever plus qu'un autre, chacun possédait ce que le travail de la nature lui accordait. Les vieillards étaient appelés à juger les différends. La probité était la première des vertus, et quiconque aurait pris le bien de ses semblables était chassé honteusement du pays. La frugalité était regardée comme un des devoirs. La chasteté était la fortune des jeunes filles et la seule dot qu'elles apportaient à leurs époux. L'agriculture était la véritable source de leur bonheur et de leur liberté. Heureux les peuples qui savent y asseoir le fondement de leur prospérité !"
De telles lettres de noblesse expliqueraient-elles le niveau des Galanais actuels ?

Le langage.
Des précisions techniques sur les influences sur notre langue des Celtes, des Phéniciens, des Romains, des Visigoth, des Sarrasins, des Arabes. Des hommages sont rendus au "gracieux poète" d'Espourrin : "rien n'égale la fraîcheur des expressions dont il se sert et de l'énergie de signification qu'aucune langue ne pourrait traduire. Ses œuvres sont un monument de gloire pour l'idiome des Hautes-Pyrénées". Le poète Jasmin "prouva que dans ce siècle d'indifférence le sentiment du pays n'était pas encore éteint."
Voir "Quelques morceaux choisis d'auteurs, ou Gascons d'origine, ou qui ont chanté les Pyrénées.".

L'instruction publique.
L'auteur résume la situation en reproduisant les chiffres publiés par l'Inspection académique pour 1854 :

On constate que les filles sont plus nombreuses que les garçons et qu'elles fréquentent l'école davantage que les garçons : 15,8% d'abstentions contre 23,9% pour les garçons.

Pourtant l'auteur déplore que l'éducation des filles soit négligée et exprime cela en termes lyriques : "... quels vides, quels regrets n'éprouvent-elles pas, lorsque mariées, elles pourraient si efficacement aider leurs époux de leur savoir et remplir alors le rôle que Dieu leur a assigné d'être la compagne de l'homme... À 7 ans elles prennent la quenouille, donnent la nourriture aux animaux de la basse-cour, ou sont occupées à la garde des plus jeunes de la famille pendant que le père et la mère travaillent aux champs".
Par rapport à 1808, la situation s'est améliorée car alors "une grande partie de la population ne savait ni lire ni écrire" comme l'écrivait M. de la Boulinière. On verra qu'en 1887 l'instituteur de Galan ne trouvera pas la situation trop mauvaise (voir La monographie de 1887, § IVbis Enseignement).

Cultes et croyances.
Les mères enseignent les prières à leurs enfants; ceux-ci dès l'âge de huit ans sont assidus au cours de catéchisme qu'il suivent pendant 4 ou 5 ans. Les églises sont pleines le dimanche, jour consacré à l'assistance aux offices et au repos, et "tout homme qui déroge à cette règle est "cité au ban de l'opinion publique comme un homme méprisable, sans foi ni loi, et indigne de la moindre considération". Le Diocèse de Tarbes comprend 285 cures ou succursales, nombre pourtant insuffisant pour doter chaque commune d'un prêtre, ce qui fait dire à l'auteur : "...Il est permis de s'étonner que le gouvernement, si empressé au bien-être du peuple, n'ait pas songé à combler cette lacune importante, si digne, cependant, de sa sollicitude". Et pourtant il y a 62 ans seulement, la Terreur régnait.
Parallèlement à cette religion officielle, des pratiques superstitieuses avaient cours, transmises par tradition. Voir quelques exemples au chapitre Les conjurations et incantations populaires. Les druides, les Romains ont laissé des empreintes encore visibles : autels, pierres sacrées. Les génies, les fées et même les sorcières hantent certains lieux où on les vénère en des circonstances ou à des dates bien précises. La survivance de certaines pratiques est significative, exemple : "...au baptême d'un nouveau né, ne voit-on pas envelopper un petit sachet de sel dans le langes". Et pourquoi un mariage ne doit pas être célébré ni un lundi, ni un mardi, ni un vendredi ? Mais il semble que ces croyances ont tendance à s'estomper, grâce à l'influence de l'enseignement public, affirme l'auteur.

Habitudes sociales
"Envers les étrangers, la bourgeoisie est affable, prévenante et d'une sociabilité remarquable; polie sans affectation, elle se prête volontiers à tout ce qui peut leur procurer quelque agrément". Les dames sont galamment décrites. Elles ont été évoquées au chapitre Portraits. L'auteur ajoute : "Les promenades sont pour le beau sexe une occasion d'étaler sa parure; les dames rivalisent à cet égard de grâce et de coquetterie, et se piquent d'amour-propre pour ne produire aux regards que des toilettes conformes aux exigences et aux caprices de la mode".
Les employés administratifs sont bien considérés : on pourra avoir des faveurs à leur demander, des protégés à aider.
Quant à la classe ouvrière et artisanale, elle se retrouve au café ou à l'auberge le dimanche; parfois, on discute politique, mais, faute d'instruction, il est difficile d'appuyer son opinion sur un raisonnement quelconque... On peut affirmer hardiment que dans ce pays, la classe ouvrière, ailleurs si turbulente, ne ferait aucune démonstration contre les mesures législatives ou administratives, pour si oppressives qu'elles fussent.
La fille de l'ouvrier ou de l'artisan fait de la couture ou du repassage, elle a généralement des traits agréables qui laissent percer un air mutin ou d'espièglerie; elle apporte à sa mise des soins particuliers et s'attife avec une coquetterie délicieuse... Plus elle est courtisée, plus on lui suppose de mérites. Son plus beau temps est l'époque des bals de société. Que d'admirateurs se pressent autour d'elles ! De quels soins empressés n'est-elle pas l'objet ! Parée alors avec ce que l'élégance a de plus fin, de plus délicat, elle s'étudie à se donner un cachet de distinction.
Que d'éloges !
L'auteur passe en revue le goût des Bigourdans pour la musique, pour les représentations équestres qui lui rappellent l'ambiance des arènes romaines... Mais les plaisirs les plus courants restent la chasse et la table. "On se livre aux douceurs de celle-ci avec intempérance".. Particulièrement à l'occasion de la fête locale ou du Carnaval où la table, le vin, les danses sont à l'honneur.
Les pastorales sont appréciées de l'auteur qui estime que ce sont des récréations intelligentes : on distribue à des jeunes gens les rôles d'une pièce dramatique. Certains ne savent pas lire, mais on s'y prend à l'avance. Les représentations se font l'été, elles attirent beaucoup de monde. On choisit un pré ombragé pour installer la scène constituée de planches posées sur des barriques. La drôlerie est due à une déclamation loufoque, tragi-comique d'un texte malmené à souhait et appuyé par toutes sortes de gestes.
On apprend que certains jouent de l'argent aux cartes, ce qui est "une funeste passion". Certains joueurs sont même amenés à vendre une paire de bœfs au marché pour s'acquitter de leur dette. Le jeu de quilles (voir Les distractions) est "cultivé avec passion et donne aussi lieu à des paris considérables".
L'Assistance Publique n'est pas un vain mot; voici le montant en francs des aides et les catégories bénéficiaires pour l'année 1854 :



La composition du territoire de Galan.



Les rêves deviennent réalités.
La perspective d'installer des lignes de Chemin de fer dans les Hautes-Pyrénées est au cœur des débats. On parle de constituer un réseau comprenant les lignes suivantes :
- Tarbes/Bagnères de Bigorre,
- Tarbes/Agen et Mont de Marsan,
- Tarbes/Pau par Lourdes, prolongements ultérieurs vers Orthez, Bayonne, Dax.
Ce qui représente 100km. Le Conseil Général dans ses délibérations de 1855 s'engage à l'unanimité de payer au gouvernement le tiers des frais d'acquisition des terrains. Les propriétaires de ces terrains estimant que le chemin de fer est une aubaine, seront, dit-on, raisonnables pour fixer leurs prix de vente. Les Hautes-Pyrénées seront le premier département de la région qui sera équipé, mais il faut faire vite quand on pense que la première ligne Paris/Saint-Germain a été construite il y a bientôt 20 ans.

L'Agriculture
Elle a été développée en détails au chapitre Les Paysans à Galan, que cultivaient-ils ? Mais voici quelques éléments supplémentaires :


En vert, les excédents; en rose, les déficits.

Le département est plutôt déficitaire en céréales. Le maïs arrive en tête, mais le froment a toujours du succès.
Le tableau suivant indique que :
- Les surfaces cultivées en froment augmentent, mais la production augmente moins, le rendement baisse.
- Les surfaces cultivées en avoine augmentent, et la production augmente encore davantage, le rendement augmente fortement. Cette céréale connaît un grand succès du fait de l'accroissement de l'espèce chevaline du fait de la proximité de Tarbes.
- Le méteil, le seigle, le sarrazin sont moins cultivés, mais le rendement s'améliore.
- La production et le rendement de l'orge baissent fortement.
- Le maïs est stationnaire.



Revenu brut produit par les animaux domestiques.
Le graphique qui suit est parlant : en 14 ans, la rentabilité des animaux domestiques s'est accrue de façon spectaculaire. On connaît les efforts gouvernementaux, en particulier des militaires pour améliorer la race chevaline dès 1806. L'espèce ovine s'est améliorée avec l'introduction du bélier mérinos, les truies indigènes ont été croisées avec des verrats anglais, ce qui a donné des "produits surprenants".


Voir aussi "Le contexte agricole actuel," l'évolution du poids des animaux domestiques de 1852 à nos jours.

L'espèce canine intéresse l'auteur qui note que "le berger des Pyrénées, d'une taille superbe fait l'objet d'un commerce pendant la saison d'été".
Voici le résultat du recensement de 1852 :

Les ressources des Hautes-Pyrénées en produits minéraux.
L'auteur devient lyrique quand il aborde ce sujet : "Il faut éveiller l'industrie, apprendre à l'aimer par des honneurs, l'encourager par des primes ou par des prix, la réunir toutes les années dans une exposition départementale où seraient reçus toutes espèces de produits; ce serait un sujet d'émulation pour tous les travailleurs; ce serait l'organisation du crédit industriel; ce serait arriver à l'association du capital avec le travail. De ce concours d'idées que de nouvelles conception sont appelées à surgir !". D'après lui "tous les métaux se trouvent dans les Hautes-Pyrénées : or, argent, nickel; cuivre, plomb, fer, zinc, cobalt, manganèse...". Il cite Strabon (le géographe officiel de la Rome antique né en 60 avant JC) qui prétendait qu' "il y avait dans les montagnes une si grande quantité d'or qu'on en retirait parfois des plaques à en remplir la main...". Mais de l'or, il ne nous reste que des noms propres comme Aure ou Lortet. Il paraît que l'or et l'argent de la région permirent à Jules César de payer ses "dettes immenses".
L'argent fut exploité par les anglais à Gazost, Gèdre et dans la Vallée d'Aure.
Une étonnante citation de Ramond qui affirme que "le cuivre abonde dans les Pyrénées, en dépit de la loi qui le relègue vers le pôle".
Le fer est présent mais n'est plus exploité pour une curieuse raison avancée par M. de Lapeyrouse pour qui cet insuccès serait dû aux : "...irrégularités générales des couches de granit au milieu desquelles se perdent les filons métalliques".
La mine de manganèse de Saint-Lary est citée ainsi que l'usine du Col de Peyresourde.
Plus sérieuse est l'évocation de notre richesse en marbres. Louis XIV l'utilisa pour le Château de Versailles et pour le Trianon. Bagnères de Bigorre est un centre important, mais les carrières sont nombreuses à Campan, Sarrancolin, Beyrède, Nestier. Il faut noter qu'à Galan de nombreux encadrements de portes et de fenêtres sont en marbre gris.
Une mention pour le plâtre qui commence à être utilisé pour "plafonner les maisons les plus pauvres". Son utilisation comme amendement agricole est alors courante, mais bientôt son efficacité sera l'objet de discussions sans fin entre chimistes et agronomes qui aboutirent à cette conclusion que son effet est quasi nul sauf pour les prairies artificielles riches en légumineuses.
La chaux abonde mais elle est produite avec des fours qui ont un mauvais rendement. Le prix de revient trop élevé fait limiter son emploi à la maçonnerie alors que l'agriculture en aurait grand besoin pour amender les terres. Les sables de la Baïse d'un joli blond entrent dans la composition du mortier "au jet de truelle" qui recouvre les maisons anciennes de Galan et que Maurice Soulès met en œuvre avec bonheur.
L'argile est présente partout. Les maçons l'utilisent couramment pour les murs en pisé et les cloisons (voir dans le chapitre Habitation : Le pisé). À Galan la tuilerie de Campuzan a fonctionné jusque dans les années 1950.
On trouve de la tourbe et du lignite sur le plateau de Lannemezan où il est projeté de produire de la tourbe condensée dont l'expansion calorique approche celle de la houille, mais il n'est pas précisé comment.
La Revue des Pyrénées du 2ème trimestre 1908 cite les données officielles : 14 carrières souterraines, 148 carrières à ciel ouvert.
Curieusement on note un bref chapitre intitulé : Produits chimiques où il est question de la production de limonades gazeuses et d'eaux minérales artificielles !

Le bois est un sujet qui tient à cœur à l'auteur qui n'hésite pas à polémiquer. Voilà les étonnants propos qu'il tient : les Hauts-Pyrénéens ont un sens excessif de la propriété individuelle ce qui cause le malaise et la ruine dans le département. Chacun veut sa propre maison ce qui entraîne une consommation énorme de bois pour les charpentes et la perte de terrains pour l'agriculture. Il se fait, avant la lettre, le chantre des gratte-ciel. Imaginez Tarbes avec des bâtisses deux fois plus hautes, il précise "ce qui serait encore en-dessous de Babel", on ferait des économies de toutes sortes : éclairage, nettoyage des rues, moins perte de temps dans les déplacements, etc.
Il reprend son calme pour décrire les activités lucratives dérivées du bois : nombreuses scieries et tourneries, fabriques de meubles y compris de pianos, de chaises, de sabots, de cannes, de paniers (tistails).


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Copyright J.-P. Maquaire